Mise en page


des trusts
de la pharma
Etude de Henri Houben Edito/Clients de tous les pays, 01 La santé insolente 02 La constitution d'un monopole 12 Quand Big Pharma s'emmêle dans la politique 20 Le Belge a-t-il une brique ou un médicament dans son ventre? 26 Quand la santé publique faisait les affaires du privé 28 Médicaments génériques menaces au Sud!/Marc François 35 Gresea échos N°71 Comité de rédaction:
GRESEA asbl
Trimestriel: Juil et-Août-Septembre Brahim Lahouel, Marc François, Erik Groupe de Recherche pour une Rydberg,Xavier Dupret, Henri Houben, stratégie économique alternative Couverture: Donald Sturbel e Lise Blanmail and, Raf Custers.
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Bienvenue dans le royaume de la pharmacopée.
C'est, très largement, une économie assistée. Le succès C'est un business dont la presse économique explore régu- (commercial) d'un médicament, donc de sa production in- lièrement les potentialités. La maladie d'Alzheimer, par dustrielle, sera dans une très large mesure dépendant de la exemple. Son "coût" social, informe le Financial Times du 7 couverture sociale dont le médicament bénéficiera. Ce mar- septembre 2012, est aujourd'hui estimé au niveau mondial à ché ne "fonctionne" que si la collectivité lui prête assistance.
600 milliards de dollars par an - pour quelque 36 millions de On est là en présence d'un "climat d'affaires" très avanta- "clients". Mais ces chiffres vont connaître une croissance geux. Nul besoin de convaincre le consommateur, le corps tout à fait alléchante. Vers 2050, on estime la clientèle mon- médical s'en charge. Aucune nécessité de se lancer dans diale à 115 millions, presque quatre fois plus. Et il en ira de d'épuisantes batailles sur les prix, le remboursement ôte ce même du "potentiel": entre ces deux dates, la valeur du petit "souci". Mieux: on a affaire, du côté des consomma- marché de la pharmacopée anti-Alzheimer devrait tripler, teurs, à un "marché captif", le malade ne choisit pas de passant de 5,8 milliards de dollars à 14,5 milliards.
l'être, il est un client obligé - et il l'est d'autant plus que le Même scénario pour les pathologies chroniques graves au système économique, de plus en plus obnubilé par la com- sujet desquelles le journal financier Les Échos du 29 juin pétitivité, est pathogène (stress et autres syndromes 2012 rappelle qu'elles frappent un Français sur six. Par or- d'usure physique accélérée) et que, ceci expliquant cela, un dre de nombres de malades décroissants remboursés par la nombre croissant de troubles psychologiques et comporte- sécurité sociale, ce sont le diabète (1,89 million de clients), mentaux, autrefois gérés comme des aléas normaux de la le cancer (1,86 million), l'hypertension (1,2 million), les af- vie, ont été redéfinis, surtout chez les jeunes et avec le sou- fections psychiatriques (1 million), les maladies coronaires tien bienveillant de la corporation médicale, comme nécessi- (0,9 million) et l'insuffisance cardiaque (0,7 million). Le fait tant des traitements médicamenteux. Dans sa vision roma- frappant, et alléchant est cependant celui-ci: ces maladies nesque d'un monde totalitaire bâti sur des pilules du bon- représentent les deux tiers des remboursements et. envi- heur, Aldous Huxley ne croyait sans doute pas si bien dire.
ron 90% de leur croissance.
Cela n'a plus rien de futuriste.
Un dernier chiffre et puis on arrête. Aux États-Unis, un pays Ajouter à cela, comme l'étude de Henri Houben le montre à qui se singularise parmi les économies avancées comme suffisance dans les pages qui suivent, la concentration des celle qui connaît le plus faible taux de couverture des soins pouvoirs oligopolistiques (économiques, politiques, sociaux, de santé (50 millions de personnes, soit près de 16% de la culturels) dont les grandes transnationales ont su, dans la population, ne bénéficient d'aucune couverture), les dé- pharma comme ailleurs, s'arroger. Déjà en 1971, dans son penses en soins de santé battent paradoxalement tous les ouvrage sur les transnationales (The Multinationals), Chris- records: aucune autre économie avancée n'affiche un poids topher Tugendhat soulignait à quel point l'émergence de ces égal à celui que les États-Unis ont fait place à cette catégo- superpuissances économiques représente "une des évolu- rie de consommation: 17% du produit intérieur brut.
tions les plus dramatiques" de notre époque, pour les gou- vernements comme pour les syndicats. C'est aussi le mes- Ces données ont un trait en commun.
sage principal du livre collectif que le Gresea a publié cet Elles soulignent ce fait singulier (rien n'y prédispose par né- été (Petit manuel des transnationales - 25 fiches pour com- cessité) que la santé est un marché. C'est un business. Et prendre, éditions Couleur Livres): quiconque souhaite d'un genre assez particulier. Du point de vue économique, "transformer le monde" doit désormais intégrer cette donne.
en effet, ce business a su se ménager un système parallèle C'est tout simplement une affaire de santé mentale.
qui n'obéit pas aux règles habituelles du marché.
Gresea Echos N°71
Une santé insolente
nancières, de l'ef-
Tableau 1. Principales données des onze géants de l'industrie pharmaceutique en 2009
(en millions de dollars ou en %)
marché automobile, de l'ato-
P/CA P/FP
nie généralisée, un secteur
semble échapper à la crise
Johnson & Johnson économique: l'industrie phar-
maceutique. Les dépenses de
santé sont en perpétuelle
hausse, encourageant la vente
des médicaments à suivre le
même chemin. Les bénéfices
restent élevés. Il n'y a pas de
faillite majeure. Les divi-
dendes versés aux action-
Abbott Laboratories naires ne cessent de croître.
Mais l'horizon est-il vraiment
sans nuages?
En 2008 et 2009, l'économie mondiale est frappée par une grave ré- cession, la plus grave depuis la Seconde Source : Les compagnies pharmaceutiques concer- fit en 2009. Sur ces quasi 100 milliards, Guerre mondiale. Des entreprises font nées, rapports annuels 2009.
les firmes pharmaceutiques ont récom- faillite, de nombreuses personnes per- Notes: CA désigne le chiffre d'affaires; FP les fonds pensé leurs actionnaires pour plus de dent leur emploi, les Etats croulent propres; P le profit net déclaré, Div les dividendes 40 milliards de dollars. Soit le PIB de la sous les dettes… Tous les secteurs versés aux actionnaires.
Tunisie ou du Sri Lanka.
sont affectés.
Les onze firmes principalement Mais l'exceptionnel ne réside Tous? Non, il existe une indus- axées sur les médicaments1 réalisent pas encore là. L'industrie de la santé trie qui fait fi de ces dif icultés et qui en- un chiffre d'affaires cumulé de plus de avoue un taux de rentabilité, c'est-à- registre des activités et des bénéfices 426 mil iards de dol ars. Si on ajoute dire un rapport des bénéfices nets aux en croissance presque constante. Ce Boehringer Ingelheim, une firme al e- fonds propres (P/FP), de plus de 22%.
n'est pas la finance (qui a connu un mande qui vient d'entrer dans le clas- Pour trouver mieux, il faut al er dans séisme avec les subprimes), ni l'indus- sement des 200 plus grandes firmes in- l'informatique (IBM, Accenture ou Mi- trie de l'armement, pas davantage l'aé- dustriel es mondiales, cela donne un crosoft par exemple).Et surtout le taux rospatiale… C'est le secteur pharma- montant de près de 445 mil iards de de marge bénéficiaire très élevé dollars. Sur ce plan, l'industrie pharma- (P/CA) :près de 22%.Là,même les cinq ceutique se classe au cinquième rang, firmes de services informatiques sont Mais où est donc passée la
derrière les 35 compagnies pétrolières, battues avec un taux de seulement 17%.
les 20 géants de l'automobile,les 22 so- Ensuite, vient l'industrie des cosmé- ciétés électroniques et les 14 transna- Il suf it de jeter un œil sur les ré- tiques et du luxe avec un taux de 11,8%.
tionales de l'agro-alimentaire.
sultats des leaders de la santé,réduits à Ce qui est aussi remarquable est onze depuis l'absorption deWyeth (an- Les onze leaders pharmaceu- qu'aucune des douze sociétés pharma- ciennementAmerican Home Products) tiques enregistrent 93,5 mil iards de ceutiques ne subit de pertes. Toutes par Pfizer et la fusion entre Merck et dol ars de bénéfices et même 96 mil- réalisent un niveau confortable de pro- Schering-Plough en 2009. C'est l'objet liards avec Boehringer. Ils ne sont dé- fit, alors que, dans les autres domaines, du tableau 1.
passés que par le secteur pétrolier qui souvent une ou deux firmes tirent l'en- a déclaré près de 132 milliards de pro- Gresea Echos N°71
semble à la hausse. Les résultats y sont verte. Il faut environ dix ans pour la ciété suisse, el e dispose de plus de fort divers avec des entreprises très mettre au point et en sortir un médi- temps pour trouver les perles rares qui performantes ou lucratives et d'autres cament agréé. Ensuite, il s'agit de com- vont remplacer l'actuelle manne provi- qui vivotent, sont affectées par la ré- mercialiser ef icacement ce produit. Il dentielle.
cession, doivent déclarer des pertes, en résulte que l'avantage peut être Le développement des géné- etc. L'industrie pharmaceutique est un court dans le temps.
riques bouleverse incontestablement le secteur qui en totalité ne semble pas Il y a dif érents moyens de le secteur. Là où l'on dispose de statis- connaître la crise.
prolonger. Mais, si une firme dépend tiques, surtout aux Etats-Unis, on ob- En 2010 et 2011,les onze firmes d'un ou deux "blockbusters" et que serve clairement la progression.Le sec- vont subir un peu le contrecoup de la ceux-ci voient la date d'expiration du teur était inexistant dans les années 70.
récession et de la baisse des dépenses brevet approcher bientôt,il peut y avoir El e a connu un essor grâce à la loi de consommation des ménages, ainsi danger. Des génériques, beaucoup Hatch-Waxman de 1984, qui va spéci- que des resserrements budgétaires moins chers à produire puisqu'ils fier la manière dont l'autorité de tu- touchant aussi la santé. Mais cela n'af- échappent aux coûts de recherche et telle, à savoir la Food and Drug Admi- fecte pas l'état général. Le chiffre d'af- de développement, peuvent arriver sur nistration (FDA - l'administration ali- faires continue d'augmenter: 477 mil- le marché et accaparer l'essentiel des mentaire et des médicaments), doit va- liards de dol ars en 2010 et 490 mil- ventes.
lider l'acceptation de ces produits,per- liards en 2011.Les profits baissent,mais C'est ce qu'on constate dans mettant aux médecins de les prescrire.
somme toute assez légèrement par l'annexe 1.On s'aperçoit,par exemple, Dès lors, la production américaine de rapport à ce qui se passe dans d'autres qu'une entreprise comme Bristol- génériques va passer d'un à 63 milliards secteurs. La rentabilité reste très éle- Myers Squibb a un chif re d'af aires de dollars en quelque 25 ans2.En 1995, vée. La distribution des dividendes composé essentiel ement (à plus de el e représentait déjà 40% des ventes 73%) de deux médicaments,le Plavix et de médicaments aux Etats-Unis. Mais, l'Abilify. Il y a déjà des génériques pour en 2010, elle en assurait 71,2%3.
Y aura-t-il encore une firme
le premier et la licence pour le second Il ne faut pas en conclure que pharmaceutique au générique
va bientôt tomber dans le domaine pu- l'industrie pharmaceutique est d'ores du secteur?
blic. En toute logique, la firme devrait et déjà condamnée.El e a plus d'un tour Tout va bien dans le meil eur trouver un nouveau "produit phare" dans son sac:elle peut prolonger la du- des mondes alors? Pas tout à fait. Plu- pour compenser les profits moindres rée de vie du brevet, plus ou moins ar- sieurs dangers menacent les transna- attendus sur ces anciens succès. Mais tificiel ement; el e peut el e-même est-ce possible alors que,d'une part,les contrôler la production du générique ; D'abord, leurs performances coûts de recherche deviennent plus el e peut porter plainte en justice exceptionnel es dépendent souvent élevés et que, d'autre part, les décou- contre les potentiels fabricants de "co- d'un ou deux produits découverts et vertes sont de moins en moins fré- pies", juste avant que la licence exclu- développés il y a quelques années. Ces quentes et importantes? sive ne se termine… Et elle bénéficie le médicaments représentent souvent Ce qui se pose à Bristol-Myers plus souvent d'une écoute attentive et une part importante du chif re d'af- est l'inquiétude majeure des autres amicale de la part des pouvoirs publics, faires et donc des profits de l'entre- conglomérats pharmaceutiques. En ef- que ce soit en Europe ou aux Etats- prise. On les appel e des "blockbus- fet,AstraZeneca dépend à 70% de trois Unis. Nous développerons plusieurs ters", c'est-à-dire des "produits produits (Crestor,Nexium/Nexiam et points dans les chapitres suivants.
Seroquel),dont deux sont déjà concur- Il y a trente ans déjà…
Seulement, ces pilules, gélules rencés par des génériques. Les ventes ou autres bénéficient d'une protection d'Eli Lil y sont constituées à 43% de N'oublions pas que ce constat grâce à une licence qui court durant deux médicaments, tous deux dans le d'un avenir incertain et même difficile à une vingtaine d'années. Ils ont une ex- domaine des systèmes nerveux et dont cause de la raréfaction de l'innovation, clusivité qui s'apparente à un véritable les brevets viennent à échéance. Même d'un côté,et de coûts toujours plus éle- monopole. Mais cela démarre au mo- chose pour Roche, pour laquelle trois vés, de l'autre, avait été déjà été tiré ment du dépôt du brevet qui porte sur- marques représentent 40% du chif re dans les années 80, il y a trente ans.
tout sur la nouvel e molécule décou- d'af aires. Heureusement pour la so- Ainsi, en 1985, trois experts concluent que soit il y a une nouvelle révolution Gresea Echos N°71
technologique, soit ce sera la détério- ration économique. Ils écrivent à pro- pos de cette seconde perspective: "L'autre scénario, plus sombre, ne pré- voit pas de telles percées et suggère la possibilité d'une réduction des marges à un point tel que de grandes sociétés pourraient se retirer du marché. Il est concevable - bien qu'improbable4 - que l'industrie puisse aborder une période de déclin à l'échelle mondiale."5 Or, une tel e avancée des dé- couvertes ne s'est pas produite. Pour- tant, il en est résulté l'ère la plus glo- rieuse, la plus lucrative pour les diri- geants et les actionnaires du secteur pharmaceutique.Nul doute que ce sera toujours le cas, si on continue à laisser agir ceux-ci et à les décréter maîtres de notre future santé.
1. Bayer a un également un fort département pharmaceutique, mais ne se limite pas à cette activité. C'est pourquoi la transnatio- nale allemande est considérée comme appartenant au secteur chimique dans son ensemble. 2. Generic Pharmaceutical Association, "Industry History" : 3. US Census Bureau, Statistical Abstract 2012, "Retail Prescrip- tion Drug Sales": http://www.census.gov/compendia/sta- 4. On observera ici la tournure de phase qui désavoue déjà ce qu'elle veut dire et permettant toutes les interprétations possibles. En effet, si le déclin arrive, les auteurs pourront dire : "eh oui, comme nous l'avons écrit, c'était concevable". En revanche, s'il ne survient pas, ils lanceront: "eh oui, comme nous l'avons écrit, 5. Raymond Rigoni, Adrian Griffiths & William Laing, Les transna- tionales de la pharmacie, éditions PUF, Paris, 2005, pp.119-120. Gresea Echos N°71
Pilule miracle 05
Annexe 1 - Les 20 médicaments les plus vendus dans le monde
Part du CA
Terme du brevet
juin 2011 aux USA, mai 2012 enEurope générique 2009 en Europe, 2011 système respira- 2016 aux USA, progressivement janvier 2016 aux USA existence de génériques existence de génériques décembre 2016 aux USA octobre 2012 aux USA 2014 en Europe, 2018 aux USA schizophrénie, dé- 2014 en Europe, 2015 aux USA février 2012 aux USA octobre 2011 aux USA cancer du sein, du février 2018 aux USA cancer du sein, de 2015 en Europe, 2019 aux USA 2014 aux USA et Japon, 2012 en 2014 au Japon, 2015 aux USA,2016 en Europe Source : IMS Health, « Top 20 Global Products, 2011 », http://www.imshealth.com/deployedfiles/ims/Global/Content/Corporate/Press%20Room/Top- Line%20Market%20Data%20&%20Trends/Top_20_Global_Products.pdf, et Firmes pharmaceutiques, Rapport annuel 2011.
Gresea Echos N°71
Profit, profit, profit
ristique de l'indus-
tions, de filialisations… Dès lors, le pé- rité quasi af olante. Il y a d'abord une rimètre n'est pas strictement le même stagnation due à la crise conjoncturelle tique est d'amasser des béné-
au départ et à l'arrivée. Il évolue même du début des années 80, lorsque les fices à ne plus savoir qu'en
d'année en année. Néanmoins, nous taux d'intérêt étaient très élevés. En- faire."Normal", disent les di-
avons pu établir l'évolution à partir suite, c'est l'essor: une augmentation rigeants des transnationales
de 4,6% en moyenne annuel e durant de ce secteur,"nous devons fi-
23 ans jusqu'en 2008. La crise affecte nancer de lourds investisse-
Toujours plus gros!
quelque peu l'industrie pharmaceu- ments en recherches et, en
Le moins que l'on puisse dire tique aussi, avec une baisse en termes outre, ceux-ci sont très ris-
est qu'on est impressionné par la réels de 5,8%. Mais, les années sui- qués. Notre rentabilité élevée
courbe quasi en forme de ligne droite vantes, les chif res repartent à la provient de cette incerti-
ascendante de la plupart des schémas. hausse, rattrapant même le retard oc- tude." Mais qu'en est-il réelle-
Ainsi en va-t-il de celui concernant le casionné par la récession.Quel secteur montant réel des ventes et qui est pro- peut en dire autant? L'industrie pharmaceutique est posé au graphique 1.
composée d'une multitude de labora- Graphique 1. Evolution du chiffre d'affaires réel des géants de l'industrie pharmaceutique
toires éparpillés dans le monde capita- mondiale 1980-2011 (en milliards de dollars)
liste avancé (Amérique du Nord, Eu- rope, Japon) et maintenant dans les grands pays émergents (Inde, Brésil, Afrique du Sud, Chine). Mais, en réalité, seule une minorité a une réelle impor- tance. Par un processus de concentra- tion (décrit dans un autre chapitre),une quinzaine de transnationales dominent complètement la production et, de ce fait, la distribution de médicaments dans le monde.
On peut ainsi retracer l'évolu- tion du secteur depuis 1980 à partir de ses grandes entreprises.Nous en avons répertorié treize: Pfizer, Johnson & Source: Calculs sur base de Compagnies pharmaceutiques, rapports annuels, différentes années.
Johnson, Novartis, Sanofi, Merck, GSK Note: Les firmes reprises sont Merck, Johnson & Johnson, Pfizer, Bristol-Myers, Squibb,Abbott Laboratories, (GlaxoSmithKline), Roche1,Abbott La- Wyeth, Pharmacia-Upjohn, Eli Lilly, Schering-Plough, GSK, Glaxo, Smithkline-Beecham, Wellcome, GlaxoWell- boratories,AstraZeneca,Eli Lilly,le sec- come, Beecham, Beckman, AstraZeneca, Astra, Zeneca, Roche, Novartis, Ciba-Geigy, Sandoz, Sanofi, Aventis, teur "santé" de Bayer, Bristol-Myers et Hoechst, Rhône-Poulenc, Sterling Drug, Boehringer Ingelheim, Bayer, Schering AG, Warner Lambert, American Cyanamid et Celanese.
Boehringer Ingelheim. On aurait pu ajouter peut-êtreAmgen et la première Pour obtenir un chif re d'af aires Il faut préciser que,sur la même firme japonaise Takeda Pharmaceutical. réel, nous avons calculé un indice des période, les dépenses de santé aux Ce qui nous aurait amené au nombre prix basé sur le déflateur du PIB des Etats-Unis ont crû de 5,1% en moyenne de quinze en question2. Ce n'est pas principaux pays possédant une indus- annuel e et en termes réels4. En 2007, évident de retracer l'évolution des trie pharmaceutique (Etats-Unis, Eu- l'"Amérique" consacrait quelque 2.200 données fondamentales pour ces rope et Suisse), pondéré par la somme milliards de dollars à la couverture mé- firmes, car les compagnies actuel es des ventes des firmes de chaque ré- dicale, soit 41,1% de toutes les sommes utilisées à cette fin dans le monde5.
Gresea Echos N°71
Exception culturelle 07
Cela représente 15,7% de son PIB, soit Nous avons calculé ceux-ci en termes rel, il subit des pertes abyssales, mena- le pourcentage le plus élevé de la pla- réels (sans inflation),ce que présente le çant plusieurs leaders de faillite comme nète (si l'on exclut les minuscules îles graphique 2.
ont succombé par le passé des firmes de Kiribati dans le Pacifique6).
Les retournements de conjonc- prestigieuses, la Pan Am, Eastern Air- Et c'est loin d'être terminé. IMS ture sont à peine perceptibles. Les bé- lines, TWA… Health prévoit pour 2016 une nouvelle néfices cumulés passent de 27 milliards Or, l'industrie pharmaceutique croissance des dépenses en médica- de dollars (de 2011) en 1990 à plus de dispose d'une rentabilité structurel e ments. Ceux-ci devraient passer de 100 mil iards en 2009. Un quadruple- largement au-dessus de la moyenne.
956 mil iards de dol ars en 2011 à 1.200 ment en moins de vingt ans ou une pro- Pour le montrer, nous avons comparé milliards en 2016, soit une progression gression annuel e moyenne de 7,2%! le taux de profit (bénéfices nets sur de 4,6% en moyenne annuelle7. Si, dans Qui dit mieux? Et, malgré une baisse fonds propres) des 200 plus grandes les pays capitalistes développés, les des ventes en 2009, le secteur connaît entreprises industriel es mondiales et freins se multiplient,les pays dits émer- sa meil eure année. Une centaine de celui des firmes pharmaceutiques com- gents (Brésil, Russie, Inde, Chine, etc.) mil iards pour treize firmes, cela fait prises dans ce classement. Un indice devraient connaître une hausse phéno- une moyenne de quelque 8 mil iards qui en dit long : ces dernières sont au ménale de 13 à 16%. Ce niveau est par entreprise. Ce sont des résultats nombre de quatre en 1967, mais de censé durer jusqu'en 2015, d'après qu'on ne trouve que dans les secteurs douze en 2009. Le graphique 3 com- l'institution privée de prévisions phar- les plus monopolistiques: le pétrole ou pare ces deux niveaux de rentabilité.
maceutiques8. Indiscutablement, l'in- l'informatique.
Dans un premier temps,la diffé- dustrie pharmaceutique est un géant rence n'est pas très nette. Le secteur de l'économie des sociétés indus- L'alchimie pharmaceutique:
est fortement affecté par les décisions triel es avancées. El e poursuit une la redécouverte des profits sans
d'augmenter fortement les prix du pé- croissance qui paraît sans fin. Et cela se limites
trole brut dans les années 70. Nous voit dans l'évolution des ventes.
Il existe d'autres secteurs qui avons vu sur le graphique 1 que les pre- ont le vent en poupe, avec des pers- mières années de la décennie 80 Les décades prodigues et
pectives de croissance importante. étaient plus dif iciles. Bien vite, les fa- Cela n'explique pas une tel e montée bricants de médicaments remettent les Plus grosses, mais également des bénéfices.Ainsi, le transport aérien pendules à l'heure et retrouvent un ni- plus rentables. L'évolution des béné- connaît une progression indéniable. veau de rentabilité supérieur à la fices depuis les années 909 en atteste. Mais, dès le retournement conjonctu- moyenne. Dans la seconde moitié des années 90, celui-ci flirte et parfois dé- Graphique 2. Evolution du profit réel des géants de l'industrie pharmaceutique mondiale
1990-2011 (en milliards de dollars)
passe même les 30%, alors que le taux de profit des 200 géants industriels avoisine les 15%, soit la moitié de l'in- Au début du XXIème siècle, après une baisse due au krach du NAS- DAQ et des valeurs technologiques, la profitabilité globale des transnationales remonte fortement et se rapproche des niveaux pharmaceutiques. Mais la crise actuel e ramène cette tendance nettement à la baisse. En revanche, le secteur de la santé reste stable aux alentours de 25% des fonds propres.
L'écart redevient important,pas loin de 15% comme à la fin des années 90.Avec Source: Calculs sur base de Compagnies pharmaceutiques, rapports annuels, différentes années.
une inflation inexistante,en plein milieu Note: Les firmes sont identiques à celles du graphique 1. Pour Bayer, nous avons repris le profit opérationnel.
Nous avons utilisé le même déflateur que pour le chiffre d'affaires.
de la plus grave crise économique de- Gresea Echos N°71
Graphique 3. Evolution de la rentabilité comparée des géants pharmaceutiques et des 200
n'atteint pas 12%.Total fait mieux avec firmes industrielles 1967-2009 (en %)
18% en 2006.Toyota,le constructeur le plus rentable, ne dépasse pas les 10%.
Nestlé n'arrive pas aux 15%. Unilever parvient à 17,7% en 2008. Procter & Gamble tourne autour de 20%. Et ce sont leurs meilleurs taux! Pour obtenir des niveaux com- parables ou supérieurs à ceux de l'in- dustrie pharmaceutique, il faut se diri- ger vers l'industrie informatique: Ora- cle dispose d'une marge d'exploitation de 34,6% en moyenne sur la décennie entre 2000 et 2009, Intel a pu bénéfi- cier d'un taux de 39,4% en 1997 et Mi- crosoft a même dépassé les 50% en 1999. Seulement ces firmes sont re- connues ouvertement comme des mo- nopoles et ont été condamnées à ce ti- Source : Fortune, Global 500, différentes années.
tre dans l'Union européenne (du moins puis 1945, un taux de profit de 25% est fit avant charges financières, dépenses les deux dernières). Sans concurrence, énorme. Seule la spéculation, mais par exceptionnels (une opération que l'on el es peuvent fixer le prix de leurs biens définition risquée,peut donner de meil- n'effectue qu'une fois en principe) et et services quasiment comme el es leures performances. Il est vrai que, les impôts10. En 2009, les onze principales l'entendent. Il faudrait en conclure que deux années suivantes, le secteur a compagnies du secteur11 ont obtenu c'est aussi le cas pour les transnatio- connu une baisse de rentabilité, qui a un bénéfice d'ex- été ramenée à 17% environ. Mais les ploitation de plus Tableau 1. Marges opérationnelles pour les onze géants de l'industrie
autres branches n'ont pas été mieux lo- de 111 mil iards pharmaceutique en 2009 (chiffres en millions de dollars et en %)
ties. Certaines industries comme l'au- de dollars. Sur un tomobile, la sidérurgie, l'électronique chif re d'af aires Profit opérationnel (P)
ne sont pas loin de la rupture et de de 426 mil iards Johnson & Johnson profonds changements, avec la fail ite de dol ars, cela Pfizer de l'une ou l'autre des grandes firmes, représente y sont même probables.Ce n'est pas le taux de 26,1%, Roche cas dans le médicament.
comme le montre Novartis Mais d'où viennent ces rende- le tableau 1.
ments au-dessus de la moyenne? Une Cette pro- AstraZeneca étude minutieuse des bilans compta- portion est ex- bles des transnationales pharmaceu- ceptionnel e. Si Abbott Laboratories tiques révèle que les bénéfices élevés on doit comparer Merck proviennent du maintien des profits ce résultat à d'au- Eli Lilly opérationnels (ou d'exploitation) tres géants, on Bristol-Myers abondants à la fois en termes absolus et constate que la Total relatifs. Le bénéfice opérationnel est marge opération- Source : Les compagnies pharmaceutiques concernées, rapports annuels 2009.
celui réalisé sur les activités normales nel e la plus éle- de la firme. Pour l'entreprise pharma- vée pour Royal Note: Le profit opérationnel est repris tel quel du rapport annuel lorsqu'il est donné.
ceutique, il s'agit de la conception,de la Dutch/Shel est Quand il n'est pas fourni, il est calculé comme le chiffre d'affaires dont on a retiré les coûts de production, d'administration, de distribution et de recherches. P désigne le production et de la vente de médica- de16,4% en 2000. profit opérationnel, CA le chiffre d'affaires. La marge opérationnelle est donc le rap- ments, de vaccins et d'autres produits Celle de BP pour port entre les deux (P/CA).Les chiffres sont différents du tableau 1 du chapitre 1, du genre pour l'essentiel.C'est un pro- la même année parce qu'on traite ici de bénéfice opérationnel et là de bénéfices nets (après impôts).
Gresea Echos N°71
Tombola 09
Tableau 2. Utilisation des ventes de Johnson & Johnson par catégorie de dépenses
pas la route.Certes,l'argent pour la re- entre 1983 et 2009 (en %)
cherche augmente proportionnel e- ment au chif re d'af aires: il passe de 6,8% en 1983 à 11,3% en 2009. Mais le montant des bénéfices progresse en Coûts des ventes comptant le financement de la re- Coûts de distribution cherche. La hausse du profit ne sert donc pas à la recherche, puisque celle- Coûts de recherche ci est déjà comptabilisée. Elle est utili- sée à rémunérer les actionnaires et à accroître la tail e de la firme ou son portefeuille de médicaments. En outre, sa croissance dépasse largement cel e des fonds alloués à la recherche.
On remarque aussi que les montants des amortissements, al oués pour remplacer le matériel existant et les brevets en cours, restent en pro- portion relativement constants, ainsi Source: Johnson & Johnson, Rapport annuel, différentes années.
que le niveau des impôts, avec une croissance jusqu'en 2000, puis une nales de la santé.En 2006,une étude du voit la part des coûts des ventes (c'est- nette décélération sous l'administra- Congrès américain aboutissait aux à-dire l'achat de biens et services ou tion Bush Jr. En revanche, la part sala- mêmes conclusions:"Selon les mesures autres pour pouvoir produire) dimi- riale passe d'un tiers environ du chiffre comptables standards, le rendement nuer sur la période ; de même pour la d'affaires en 1983 à un quart environ à sur actif de l'industrie pharmaceutique distribution (commercialisation).De ce partir de 1995. Le graphique suivant (même s'il y a un récent déclin) est en fait, l'écart entre les ventes et les dé- présente l'évolution des coûts totaux permanence deux à trois supérieur à penses grandit,ce qui alimente le profit et des ventes de la transnationale de- celui moyen des 500 plus grandes opérationnel. Un des arguments tradi- puis 1983. La dif érence représente la firmes classées par l'hebdomadaire tionnels des firmes pharmaceutiques Graphique 4. Evolution des coûts et des ventes de Johnson & Johnson
1983-2011 (en milliards de dollars)
On peut voir la progression de cette situation à partir des comptes de Johnson & Johnson, une des onze ma- jors du secteur. Cette entreprise offre d'af aires avance l'avantage d'avoir des statistiques sur une relative longue durée et de ne pas l'écart grandit.
avoir subi trop de fusions, d'acquisi- tions, qui perturbent le périmètre de l'étude. Nous avons calculé l'évolution de la répartition du chif re d'af aires en- tre ces diverses composantes (produc- tion, distribution,recherche et le solde, à savoir le bénéfice opérationnel). Cela donne le tableau 2. Nous avons ajouté Source: Johnson & Johnson, Rapport annuel, différentes années.
d'autres données sur les dépenses de pide que cel e des coûts (notamment personnel,les impôts,etc.toujours rap- pour justifier leur rentabilité est la né- salariaux) qui permet l'augmentation portées au chif re d'af aires. Ainsi, on cessité d'avoir des fonds pour la re- du bénéfice opérationnel.
cherche. On constate que cela ne tient Gresea Echos N°71
C'est bel et bien une situation ments en recherche indique que ces tagée entre toutes les firmes du sec- de monopole ou, du moins, de géants rendements sont supérieurs à ceux re- teur. Rares sont les pertes. En 2009, les oligopolistiques qui contrôlent des seg- quis normalement pour rémunérer les profits nets s'échelonnent de 2,4 mil- ments entiers du secteur. C'est ce investisseurs en fonction des éché- liards de dollars pour Boehringer Ingel- qu'on peut retrouver chez d'autres ances et des risques encourus. L'éva- heim et 12,9 pour Merck. Depuis lors - firmes du même type comme IBM, Mi- luation du taux économique de profit et pourtant, nous sommes au cœur de crosoft, Intel ou les consoeurs pétro- de l'industrie pharmaceutique dans sa la plus grave crise depuis la Seconde globalité sur une période relativement Guerre mondiale -,aucun de ces géants longue (1976-1987) montre avec évi- n'a déclaré des résultats négatifs.
Les mauvais arguments pour
dence des rendements qui sont plus S'il y avait un tel risque,une telle justifier les profits élevés
élevés que ceux des firmes non phar- constance serait impossible.Au moins, Quand on évoque les profits au- maceutiques de 2 à 3% par an, même il y aurait des "gagnants" qui tirent près des dirigeants des transnationales après ajustement pour les dif érences peut-être le secteur à la hausse. Mais, à pharmaceutiques, ceux-ci répondent dans le risque pris. Certes, c'est beau- côté,il y aurait des"perdants",des"vic- que c'est pour payer des frais de re- coup moins que ce que suggère une times du risque". Ici, rien. On peut en cherches extrêmement importants et comparaison conventionnelle des rap- voir une autre illustration dans le ver- risqués. La forte rentabilité serait la ports de profit,mais c'est suffisamment sement des dividendes aux action- condition pour cette incertitude per- élevé pour faire de l'industrie un inves- naires. En effet, à quoi servent en réa- manente quant à l'issue des coûts de tissement relativement lucratif."14 lité ces bénéfices tellement élevés:à ré- développement engagés.De quoi conti- Depuis lors, les normes comp- munérer ces détenteurs de capitaux.
nuer à attirer les investisseurs dans ce tables ont été adaptées et compren- secteur très exigeant. Il y a quelques Nous avons mis sur un même nent maintenant l'évaluation des bre- années, en 1993, le défunt Bureau graphique l'évolution de ces montants vets, des marques, du goodwil 15. Pour d‘évaluation technologique (Of ice of alloués en milliards de dollars (échelle notre part, nous n'avons pas opté pour TechnologyAssessment ou OTA en an- de gauche) et le rapport de ce verse- cette définition du taux de profit, car glais)13 a composé un panel d'experts ment par rapport au bénéfice net ef ectivement cela ne permet pas une avec de nombreux responsables de ce (échel e de droite).En ef et,le profit net évaluation sur le long terme. Nous secteur pour estimer les véritables peut essentiellement soit être payé aux avons préféré calculer les bénéfices coûts en recherche de médicaments et actionnaires,soit être réinvesti dans les nets sur fonds propres qui indiquent en les rendements attendus. Celui-ci a re- fonds propres. Nous avons débuté quoi la rentabilité de l'entreprise ré- levé des problèmes comptables car la cette investigation en 1994, car nous munère les capitaux qu'y ont mis les in- manière of iciel e d'établir des bilans n'avons pas toutes les données pour les vestisseurs ou actionnaires.Et là,les ré- oublie de calculer les montants des ac- années antérieures. Nous aboutissons sultats sont nets et sans bavure,comme tifs intangibles (ceux concernant les au graphique 5.
nous l'avons montré. En outre, cette brevets,les marques déposées,etc.).Il a analyse réfute la prise en compte des Le constat est édifiant. D'abord, aussi noté que le risque était plus grand coûts de recherche pour justifier les les dividendes (ligne grise, échel e de dans cette industrie, car une recherche bénéfices élevés.En effet,que ce soit le gauche) ne cessent d'augmenter. La est entamée, mais on ne peut être sur profit opérationnel ou net, il s'obtient seule diminution arrive en 2009, non à de son issue positive. Néanmoins, en après l'affectation des dépenses en re- cause de la crise - on sait que c'est l'an- calculant le taux de profit comme le cherche et développement (R&D).Il ne née record des bénéfices pour l'indus- rapport entre le bénéfice opérationnel faut plus en tenir compte dès lors. Ce trie -, mais parce qu'il y a deux fusions et le stock d'actifs fixes, c'est-à-dire les n'est plus une justification crédible.
importantes et donc, le nombre de avoirs en terrains, bâtiments, machines, firmes se réduisant, cela ne compense outils, mais aussi en dépôts de brevets, Même chose pour le risque. Il pas la hausse des rémunérations ver- de marques, etc., et en corrigeant pour est paradoxal de le mentionner et de sées par les compagnies restantes. En les imperfections comptables de regarder les graphiques 2 et 3 qui pré- clair, Pfizer absorbant Wyeth et Merck l'époque, il obtenait bien un reste de sentent une constance à la hausse des Schering-Plough ne distribue pas un surplus par rapport aux autres sec- bénéfices et une rentabilité stable sur le montant égal aux deux anciens divi- teurs qui demeurait inexplicable. Dans long terme.De plus,cette performance dendes, mais simplement un dividende, ses conclusions, il notait:"L'examen de n'est pas réalisée par une compagnie qui est, de plus, en légère baisse.
l'OTA sur le rendement des investisse- ou une série d'entre elles. Elle est par- Gresea Echos N°71
and Projections, 2008 to 2018: http://www.census.gov/compen- Graphique 5. Evolution du versement de dividendes des grands firmes pharmaceutiques (en
milliards de dollars; échelle de gauche) et rapport de ce montant aux bénéfices nets
5. Calculs sur base d'OMS, Statistiques sanitaires mondiales 2010, 1994-2011 (en %; échelle de droite)
pp.130-139 : 6. 110.000 habitants sur une superficie de 811 km², soit trois fois moins que le Luxembourg. 7. IMS Health, « IMS Study Forecasts Rebound in Global Spending on Medicines, Reaching Nearly $1.2 Trillion By 2016 », 12 juillet 8. IMS Health, « Marché pharmaceutique en France et dans le monde: bilan 2011 et perspectives », 25 avril 2012. 9. Nous n'avons pas pu remonter davantage, car il nous manquait des données pour certaines firmes. 10. Ce qu'on associe souvent en anglais à l'EBIT : earnings before interest and taxes. 11 Sans Boehringer Ingelheim et le département santé de Bayer. 12. Congress of United States (CBO), Research and Development in the Pharmaceutical Industry, octobre 2006, p. 44: Source: Calculs sur base de Compagnies pharmaceutiques, rapports annuels, différentes années.
Ensuite, le taux de versement Richard Smith, rédacteur en 13.CelaaétéuneagenceduCongrèsaméricainde1972à1995, est étonnamment constant: il évolue chef du très influent British Medical suppriméeparl'administrationReaganlajugeanttotalement entre 40 et 61%.Autant conclure qu'en Journal, déclarait, à ce titre, en 2003: inutile. moyenne, les entreprises pharmaceu- "L'industrie pharmaceutique est im- 14.OTA,,Washington,février1993,p.104: tiques utilisent la moitié de leurs pro- mensément puissante.C'est une des in- http://www.fas.org/ota/reports/9336.pdf. fits nets pour les distribuer à leurs ac- dustries les plus rentables, réel ement 15.Enfrançais,ontraduitgoodwillparécartdevalorisation.Il tionnaires. Mais, dans ces chiffres, il n'y organisée à l'échelle mondiale et étroi- s'agitd'uneestimationdelapartdeladirectionsursoncapital a nul e part une manifestation d'une tement liée aux hommes politiques. En immatériel(marque,brevet,réseau…),différentedecellequiest comptabilisée historiquement. Ainsi, si ce capital est inscrit pour prise de risque.Si cela avait été le cas,il comparaison,la médecine est un gâchis 100millionsdedollars,maisquelemanagementl'évalueenfait y aurait eu des chutes beaucoup plus désorganisé".16 Dans les années 70, on à300millions,ilpeutnoterladifférenceengoodwill.Celui-ci importantes et des variations plus désignait sous le vocable de "Sept peutapparaîtreaussilorsdel'acquisitiond'unefirme,carleprix fortes. On comprend dès lors que Sœurs" le trust pétrolier quasi omni- d'achatpeutêtresupérieuràsavaleurcomptableoumêmebour- l'OTA pouvait conclure en 1993 que le potent, composé des sept transnatio- sière.Denouveau,ladifférencepeutêtreinscriteengoodwill. secteur pharmaceutique était un inves- nales Exxon, Mobil, Royal Dutch/Shel , 16.CitédansDirkvanDuppen,Laguerredesmédicaments.Pour- tissement assez lucratif.Aujourd'hui,on BP, Chevron,Texaco et Gulf quoi sont-ils si chers?, éditions Aden, Bruxelles, 2005, p.17. se demanderait juste si le terme "as- vrait peut-être appeler celui qui s'est 17.Parfusion,ilenrestequatre:ExxonMobil,RoyalDutch/Shell, BP et Chevron, qui a repris Gulf, puis a fusionné avec Texaco. sez" n'est pas inutile. Des profits de constitué dans le secteur,le Conseil des 18. Avec une petite interrogation sur l'identification du douzième : Bayer, qui n'est pas proprement pharmaceutique ou Boehringer Le secteur bénéficie de gains Ingelheim, qui est manifestement moins puissant que les onze particulièrement élevés d'après tous Notes
autres. D'autre part, la vague de fusions et d'acquisitions n'est pas terminée. Donc qu'en restera-t-il dans dix ans? les critères de rentabilité que l'on peut 1.Hoffmann-LaRocheestlenomdelasociétépharmaceutique établir. Ceux-ci ne proviennent pas es- crééeen1896parFritzHoffmann-LaRoche;Rocheestlenomdu sentiel ement des coûts de recherche holdingquilacontrôle. et du risque pris par les capitalistes de 2.LasociétéisraélienneTevaPharmaceuticalestlepremierpro- cette branche.Ils sont issus d'une posi- ducteurdegénériquesdanslemonde.Sonchiffred'affairesde18 tion de monopole qu'ont réussi à ac- milliardsdedollarsestsupérieuràceluid'Amgen(15milliards). quérir progressivement ces firmes à la 3.Essentiellementennégligeantlesperformancesantérieuresdes fois dans leur segment spécifique (les firmeslespluspetitesrachetéesparlesgéantsdusecteur.[les graphiques suivants sur la progression des ventes et des profits maladies nerveuses, l'oncologie, les desgéantsdusecteur. voies respiratoires…) et sur l'ensem- 4.CalculssurbasedeUSCensusBureau,The2010StatisticalAbs- ble de l'industrie du médicament.
tract, National Health Expenditures —Summary, 1960 to 2007, Gresea Echos N°71
La constitution d'un
de l'industrie phar- celle-ci pourra bénéficier de la part des Berlin en 1851 pour Merck;les cousins
pouvoirs publics, mais en outre cela Charles Pfizer et Charles Erhart en vent de la rente de monopole. maintient le secteur dans une atmo- 1849 pour Pfizer;Thomas Beecham en
Ils sont devenus possibles, car
sphère saine de dynamisme,d'invention 1842 à Londres pour la société qui les prix ont pu augmenter au-
et de renouvellement permanent.
porte le même nom et qui sera incor- delà des coûts initiaux. Et ce,
porée dans GSK; le colonel Eli Lilly, un au détriment soit des patients,
Il faut bien dire que ceci est un vétéran de la guerre civile américaine, soit de la sécurité sociale.
mythe complet. D'un côté, s'il y a com- en 1876 à Indianapolis pour la firme qui Mais comment une telle situa- pétition, cel e-ci ne joue éventuel e- a adopté son nom; Edward Robinson
tion a-t-elle été rendue possi-
ment que sur la question de la décou- Squibb en 1858 pour Bristol-Myers ble? Un petit retour sur le
verte d'une nouvelle molécule aux ef- Squibb; Fritz Hof mann-Laroche en passé du secteur.
fets guérisseurs ou sur la bienveillance ou même le soutien des pouvoirs pu- 1896 à Bâle pour l'entreprise qui s'ap- Les firmes pharmaceutiques blics pour obtenir des avantages parti- pelle toujours comme telle;et on pour- présentent leur industrie comme très culiers. Tout le reste est terriblement rait continuer ainsi. Beaucoup d'entre concurrentielle, avec des firmes qui se régulé et encadré.De l'autre côté,tous eux s'occupent d'abord de procédés battent les unes contre les autres pour les spécialistes du secteur observent chimiques ou de teintures.
gagner une petite part de marché.Ainsi, justement que le nombre de décou- Mais la véritable percée arrive Wyeth avance dans son rapport annuel vertes, d'innovations réel es diminue en 1935, lorsque des chercheurs de de 2008:"Nous opérons au sein d'une de façon drastique. Ils en concluent Bayer4 découvrent une nouvelle molé- industrie pharmaceutique hautement d'ailleurs que,s'il fallait trouver où allait cule, le prontosil, un sulfamide qui sera compétitive"1.Eli Lilly ajoute un an plus se dérouler de nouvel es percées en utilisé pour traiter la syphilis.Ce sera le tard: "Nos produits pharmaceutiques termes de médicaments, ce n'était cer- premier médicament antibactérien entrent en concurrence avec des biens tainement pas dans les départements commercialement exploitable, annon- manufacturés par de nombreuses au- de recherches des transnationales, ju- ciateur de la chimie thérapeutique.
tres compagnies sur des marchés très gés trop bureaucratiques ou confor- Cela ouvre la porte à d'autres innova- compétitifs partout dans le monde"2. mistes.
tions: la pénicil ine, trouvée en 1928 Ce à quoi Merck réplique:"Les marchés Mais comment cette situation par Alexander Fleming, est testée pour sur lesquels notre entreprise conduit s'est-el e construite? Un petit retour la première fois positivement en 1941; ses activités et l'industrie pharmaceu- dans l'histoire.
la streptomycine, antibiotique antibac- tique sont à la fois extrêmement térien, est découverte en 1943 par Sel- concurrentiels et régulés"3.
Les fous du labo
man Waksman pour combattre la tu- On pourrait multiplier ainsi les berculose; la première dialyse rénale Les premiers laboratoires phar- citations. Dans n'importe quel docu- est effectuée en 1944.
maceutiques naissent au XIXème siè- ment quelque peu analytique d'une de cle. Ils sont petits et peuvent inventer Durant les années qui suivent la ces entreprises ou de leurs fédérations, un peu n'importe quoi,à partir d'expé- Seconde Guerre mondiale, c'est l'eu- on retrouve ces notions de concur- riences diverses. Il suf it de parcourir phorie. Les laboratoires s'en donnent à rence, de bataille entre compagnies ri- les trajectoires des géants actuels. cœur joie. Les avancées se multiplient.
vales, qui, en outre, serait bénéfique Leurs origines remontent toutes à En 1949, la cortisone est synthétisée pour l'innovation, la créativité et la dé- cette époque, avec l'un ou l'autre pré- dans les laboratoires Merck, permet- couverte de nouveaux médicaments. curseur: trois frères Johnson, Robert tant de combattre de nombreuses al- Non seulement la situation est difficile Wood,JamesWood and Edward Mead, lergies.
pour chaque firme, ce qui justifie tous en 1886 au départ de Johnson & John- Gresea Echos N°71
Big is beautiful 13
Seulement les conditions d'ex- une dizaine d'années, avant de pouvoir temps les investissements en re- périmentation sont souvent laissées à en moyenne commercialiser la molé- cherches et rémunérer les actionnaires.
la discrétion des chercheurs. Les médi- cule salvatrice.Ainsi, aux Etats-Unis, le Mais qu'importe! Ce développement caments sont testés sur des animaux, pouvoir de la FDA (Food and DrugAd- accorde une position de monopole à puis rapidement un nombre limité de ministration; Agence fédérale améri- l'entreprise qui réussit ce concours.
cobayes humains sont utilisés, avant de caine des produits alimentaires et mé- C'est soit la sécurité sociale qui paiera, mettre le produit sur le marché. Il faut, dicamenteux en français) est largement en cas de médicament remboursé; ou en général, trois ans entre le dépôt du renforcé, obligeant certains produits à alors le patient, dans le cas contraire.
brevet et la mise en vente du produit n'être délivrés que sous ordonnance qui en résulte. C'est court.Trop court. médicale.
Années 70: le grand tournant
En 1957, le thalidomide est Ces dispositions seront com- C'est au cours des années 70 et commercialisé par la firme al emande battues farouchement par les entrepri- au début des années 80 que la trans- Chemie Grünenthal. C'est un tranquil- ses pharmaceutiques, arguant que cela formation se passe.On peut l'observer lisant pour femmes enceintes.Mais très allait inhiber leur force créatrice. Seu- dans les statistiques américaines, géné- peu d'études de toxicité ont été effec- lement, les pouvoirs publics ne se sont ralement mieux organisées et mieux tuées. Aucune réelle mise en garde n'a donné les moyens de contrôle du sec- tenues que celles d'Europe.On compa- été prononcée.Il est même en vente li- teur qu'à moitié. En effet, ils imposent rera ainsi l'évolution des prix des pro- bre à un certain moment. En Belgique, une vérification et un contrôle accru duits pharmaceutiques à celle des biens il est commercialisé sous la marque sur le médicament qui devra être com- domestiques consommés aux Etats- Softénon.En 1961,les doutes sur les ef- mercialisé. Mais qui peut effectuer Unis, depuis 1950. Cela donne le gra- fets secondaires du produit apparais- cette preuve, sinon l'industrie el e- phique 6.
sent rapidement: le médicament pro- même qui a les capitaux nécessaires On a ajouté deux traits, l'un voque des malformations importantes pour le faire? Qui peut se lancer dans pour 1974,l'autre pour 1982 pour mar- chez les nouveaux-nés des femmes qui de longs tests cliniques sinon des quer les trois périodes d'évolution des l'avaient pris. On estime à 12.000 les géants qui peuvent investir à plus ou prix.Avant 1974, les tarifs des médica- enfants qui en seront victimes5.A par- moins long terme? ments aux Etats-Unis sont assez sta- tir de 1962, la pilule est retirée pro- Les grands laboratoires ambi- bles, alors que ceux des autres biens de gressivement partout dans le monde, tieux vont bien vite s'en rendre consommation montent progressive- dans un parfum de scandale judiciaire. compte. En fin de compte, ils détien- ment et rattrapent d'une certaine ma- En cause: les méthodes rapides nent le savoir et ont les moyens de réa- nière le niveau des produits pharma- qui amènent une molécule de sa dé- liser les tests nécessaires. D'ail eurs, ceutiques. Entre 1974 et 1982, période couverte à sa forme marchande. Les avec le temps, leur pouvoir ne peut de grande inflation: les prix grimpent firmes pharmaceutiques ont intérêt à qu'augmenter, car les investissements très vite pour tous les biens et services.
réduire ce temps, puisque, une fois le en capital seront de plus en plus im- D'où une politique de la Federal Re- brevet déposé, celui-ci ne protège gé- portants. Et si une opposition naît dans serve, la banque centrale américaine, néralement l'innovation, avec exclusi- les milieux académiques, on pourra de hausser les taux d'intérêt pour ra- vité d'exploitation, que pendant vingt éventuel ement à coup d'argent la lentir le crédit et donc l'activité écono- ans. El es veulent al er vite… mais au noyer ou même l'anéantir. Mais, par mique. L'effet en est, après 1982, une détriment de la santé.Les autorités pu- rapport aux concurrents, qui n'ont pas décélération de l'indice des prix à la bliques estiment que cela entraîne trop cette assise financière, c'est l'occasion consommation, alors que la courbe ta- de risques sanitaires. El es vont régle- de les éliminer une fois pour toutes. rifaire du secteur de la santé ne varie menter pour alourdir la procédure de pas d'un iota. Résultat: par rapport à Cet al ongement à plus de dix vérification et d'homologation. Doré- 1982, l'index a pratiquement doublé ans des tests de vérification des molé- navant, il faudra apporter davantage de alors que le niveau des prix des médi- cules implique aussi un raccourcisse- preuves que le médicament ne com- caments a été multiplié par 3,7.
ment de la durée pendant laquel e un porte pas de nocivité et des effets non brevet conserve son exclusivité. Pour Incontestablement, ce sont des souhaités à plus long terme. En parti- les firmes pharmaceutiques,cela va jus- comportements de monopole. Les culier, les tests dits cliniques sur des pa- tifier en réalité les hausses de prix, firmes pharmaceutiques peuvent impo- tients volontaires seront al ongés. En puisqu'il faudra récupérer en moins de ser des prix plus élevés que la moyenne gros, la procédure totale va prendre et en tirer les profits nécessaires à leur Gresea Echos N°71
Graphique 6. Evolution du prix des produits pharmaceutiques comparé à l'indice des prix aux
pharmaceutiques, qui peuvent progres- Etats-Unis 1950-2009 (1982=100)
sivement à la fois constituer une renta- bilité bien supérieure à la moyenne et un capital de plus en plus important qui va devenir essentiel pour éliminer les Les grands vainqueurs du
Monopoly

Joseph Stiglitz a reçu ce qu'on appelle le prix Nobel d'économie (mais qui est en fait offert par la Banque de Suède) en 2001 pour ses travaux sur l'asymétrie de l'information principale- ment dans les processus décisionnels financiers. Economiste en chef de la Banque mondiale, il démissionne de Source: Bureau of Labor Statistics, Consumer Price Indexes, Databases & tables: son poste en 1999, dégoûté par la ma- nière dont les institutions internatio- accumulation propre. On peut mettre On remarque que, rapportées nales ont agi lors de la crise asiatique le doigt sur l'apparition manifeste du au total des dépenses de santé en aggravant cel e-ci au lieu de servir les phénomène aux Etats-Unis: à partir de hausse constante sur l'ensemble de la populations locales affectées.Peu aupa- 1982. Nous avions déjà pointé sur le période, les ventes de médicaments ravant, il dirigeait l'organe économique graphique 3 que, dans les années 80, la baissent jusqu'en 1982. Ensuite, la chargé de conseiller le président amé- rentabilité du secteur commençait à courbe remonte sensiblement pour at- ricain de l'époque, Bill Clinton.
dépasser largement cel e des autres teindre des niveaux relatifs inégalés jusqu'alors: plus de 10% à partir de De cette période, Stiglitz ra- conte: "Quand j'étais président du Autre indicateur: la hausse des 2003.
Council of Economic Advisers6, j'ai prescriptions de médicaments. C'est On prescrit des médicaments constaté que les chefs d'entreprise qui l'objet du graphique 7.
de plus en plus chers. Cela avantage in- venaient nous demander de l'aide pro- contestablement les grandes firmes fessaient presque invariablement trois principes. Premièrement, leur totale Graphique 7. Evolution de la part des prescriptions de médicaments dans les dépenses de
opposition aux subventions. Pour tout santé aux Etats-Unis 1960-2010 (en %)
le monde. Sauf pour eux. (…) Deuxiè- mement, leur attachement profond à la concurrence. Dans tous les secteurs.
Sauf le leur. (…) Enfin, leur volonté de promouvoir l'ouverture et la transpa- rence. Partout. Sauf dans leur branche."7 C'est parfaitement applica- ble au secteur pharmaceutique: la concurrence, la transparence, la fin des aides gouvernementales… partout sauf dans leur industrie.
Les tableaux établis par IMS Health indiquent qu'une quinzaine de firmes assurent plus de la moitié des ventes de médicaments dans le monde, Source: US Department of Health & Human Services, "National Health Expenditures by type of service and comme le montre le graphique 8.
source of funds 1960-2208": http://www.cms.gov/NationalHealthExpendData/downloads/nhe2008.zip Gresea Echos N°71
Machinerie à sous 15
Graphique 8. Part des 15 plus grandes firmes pharmaceutiques dans la vente de médicaments
formances sur un segment particulier dans le monde en 2011
qu'on peut reprendre dans son porte- feuil e des produits. Ou alors carré- ment fusionner avec une autre grosse pointure avec le risque de perdre le contrôle sur son ancienne entité. Mais avec des bénéfices pareils,le jeu en vaut la chandelle.
Les af aires commencent dans les années 70,mais les choses sérieuses une décennie plus tard. C'est à ce mo- ment que les plus importantes des en- treprises pharmaceutiques entrent dans le gotha industriel mondial. El es marquent leur territoire: bénéfices pas encore exceptionnels, car il y a mieux en cette période, mais en croissance constante; taux de profit parmi les meilleurs, grâce à des prix dits de mo- nopole; marges opérationnel es déjà au-dessus du lot.
Source : Calculs sur base d'IMS Health, Top 20 Global Corporations, 2011 : http://www.imshealth.com/deployed- Mais les coûts des tests cli- niques augmentent eux aussi. Il faut te- nir au moins dix ans avant que "son" Le marché mondial représente En 2004, le leader du marché, médicament puisse être enfin commer- un montant de 855 milliards de dollars. Pfizer, détient une part de 9,3%, ce qui cialisé et donc rapporter de l'argent. Il Les quinze leaders (Pfizer, Merck, No- a été réduit à 6,6% en 2011. Mais, en faut des structures capitalistiques que vartis, Sanofi,GSK,AstraZeneca,Roche, 1987, le numéro un, Merck, n'avait que les firmes n'ont pas nécessairement.
Johnson & Johnson, Eli Lilly,Abbott La- 5%8. En 1978, Hoechst (aujourd'hui fu- Pas de problème! El es les acquerront boratories, Teva, Bayer, Boehringer In- sionné dans Sanofi) ne dépassait pas les par fusion et acquisition.
gelheim, Amgen et Takeda) en vendent 3,8%, alors que ses concurrents af i- Le tableau de l'annexe 3 retrace pour une somme cumulée de 462 mil- chaient entre 1 et 2%9. Aujourd'hui, à l'évolution des principales opérations liards de dollars.
côté de Pfizer, Novartis dispose d'une en ce domaine depuis 25 ans. Et cela Nous ne parlons pas d'un pro- part de 6% et Merck, Sanofi, AstraZe- commence en 1989 par la fusion d'une duit homogène comme la voiture qui neca, Roche et GSK ont, tous, entre 4 ancienne firme britannique, cel e de peut se décliner suivant différents mo- et 5%.
Thomas Beecham, avec la société amé- dèles pour des revenus variés et qui En 1985, les dix premières ricaine des Smith,des Kline,des French sert à une seule fonction centrale: le firmes du secteur possédaient 20% des pour former SmithKline Beecham. Le transport. Il y a une foule de produits ventes10.En 2011,elles en assurent 43%. montant imputé à la transaction s'élève pharmaceutiques qui ne sont pas du On voit le chemin parcouru.
à près de 8 mil iards de dol ars,un mon- tout en concurrence entre eux parce tant énorme pour l'époque. Mais il qu'ils traitent des maladies ou des Des molécules en fusion
sera immédiatement battu,la même an- fléaux totalement diversifiés (le cancer, née, par l'association menée entre Pour prendre part à ce festin les voies respiratoires, le tube digestif, Bristol-Myers et Squibb, deux compa- gargantuesque, croître par des moyens l'ophtalmologie,le système nerveux,les gnies à l'origine new-yorkaises. L'opé- internes ne suffit plus. Il faut grandir et épidémies…). Que quinze firmes ap- ration porte cette fois sur 12 milliards vite. Cela signifie racheter d'autres provisionnent 54% de la totalité de ce de dollars. On n'a encore rien vu.
compagnies plus petites, en particulier marché indique une concentration cel es qui ont construit de bel es per- En 1996, les deux firmes suisses Ciba-Geigy et Sandoz décident de ma- Gresea Echos N°71
rier leurs destinées, pour un montant cien et futur secrétaire à la Défense, les plaies des restructurations à la suite de 30,1 milliards de dollars.La nouvelle Donald Rumsfeld. Pfizer a pris la tête du regroupement. En 2004, il incite le multinationale s'appel era Novartis et du secteur pour un montant de petit Sanofi-Synthélabo à racheter le s'inscrit d'emblée dans le top 3 des en- quelque 60 milliards de dollars.
gros Aventis pour la bagatel e de 65,5 Ces mouvements inquiètent les milliards de dollars. Les liquidités de la Trois ans plus tard, deux géants Français,en particulier les pouvoirs po- grenouille ne dépassent pas les 4,3 mil- européens décident de se mettre en- litiques, dont un certain Nicolas Sar- liards de dol ars. Pourtant, l'opération semble. D'un côté, il y a la société sué- kozy, qui a hérité du gros portefeuil e marche et Sanofi, société purement doiseAstra,née en 1913 et leader dans des Finances,de l'Economie et de l'Em- française, car les Al emands sont pro- son pays.De l'autre,il y a Zeneca,le dé- ploi.Traditionnellement,le leader hexa- gressivement éjectés des postes de res- partement filialisé de la transnationale gonal de l'industrie pharmaceutique ponsabilité, s'instal e au firmament chimique anglaise ICI.Dans un moment Rhöne-Poulenc est construit sur le mo- pharmaceutique.
baigné par le "Too Big is not good"11, dèle al emand:un grand développement Le décor est maintenant bien cette dernière se scinde en deux:la par- chimique à l'origine, avec l'émergence planté: quinze firmes dominent l'essen- tie pharmaceutique,qui reçoit les actifs d'une division pour les médicaments. tiel de la production des médicaments.
les plus intéressants, et l'ancienne ICI Mais les départements al emands ont Elles en assurent environ 60% des parts qui poursuit en chimie traditionnel e, pris de l'avance. En 1991, l'entreprise de marché au milieu de la première dé- mais se retrouve au final assez mal do- française rachète une filiale américaine cennie du nouveau siècle.
tée12. La fusion dépasse les records Rorer pour 3,4 milliards de dollars.Elle Mais les appétits insatiables vont précédents avec un montant de 34,6 y place toutes ses activités pharmaceu- resurgir en 2009. Ce ne sont plus des milliards de dollars.
tiques. En 1998, elle filialise également firmes moyennes qui se mettent en- Et cela continue. L'année sui- tout son secteur chimique sous le nom semble pour devenir leaders. Ce sont vante, Pfizer, qui vise la première place de Rhodia.Cela lui permet de fusionner des géants, des entreprises du top 15, du secteur, s'associe à un autre mons- un an plus tard avec le géant allemand qui s'assemblent pour peser encore da- tre du médicament, Warner-Lambert, Hoechst pour 21,9 milliards de dollars vantage sur la politique de la santé. Les lui aussi américain. La transaction at- et d'abandonner Rhodia à son sort. dangers qui menacent depuis long- teint les 90 mil iards de dol ars. C'est Une nouvelle coopération franco-alle- temps se font de plus en plus pressants.
un sommet qui ne sera pas égalé… mande, représentant l'Europe conti- La production de génériques, normale- jusqu'à présent.
nentale dans le domaine de la santé.
ment moins chers, grimpe. L'Inde, par L'autre grande opération de Mais Sarkozy ne l'entend pas de exemple, s'en fait une spécialité. Et les 2000 est la fusion entre une firme que cette oreil e. Il préfère s'appuyer sur transnationales pharmaceutiques sont nous avons déjà mentionnée pour son une force de frappe proprement fran- de plus en plus pointées du doigt pour regroupement, SmithKline Beecham, et çaise. Il est bien introduit chez les Bet- leurs comportements très peu l'entreprise britannique GlaxoWel - tencourt qui dirigent L'Oréal, cel e-ci éthiques. En 1998, la fédération de l'in- come, el e-même tirée d'une mise en contrôlant Synthélabo, laboratoire dustrie dépose une plainte contre commun en 1995 (entre Glaxo etWell- moyen. De même, le géant pétrolier Elf l'Afrique du Sud qui achète un géné- come). La nouvelle entité porte le nom a lui-même développé une activité aval rique pour faire face à la maladie du de GlaxoSmithKline, GSK pour les in- dans le médicament, Sanofi, qu'il pos- sida qui ravage le pays. Devant le tollé times. Mais les sommes en jeu étaient sède totalement,mais qui reste très pe- international que cela provoque, el e légèrement inférieures à cel es de Pfi- tite. Déjà, en 1999, l'Etat français est est obligée de retirer sa demande, es- zer: seulement 74 milliards de dollars. bien content d'apprendre que ces deux sayant d'arranger les choses par les re- entités fusionnent pour former un se- présentants américains et européens Pfizer va sans doute se sentir le cond acteur national dans ce secteur en charge du commerce et qui lui sont vent en poupe, car il recommence une stratégique à plus d'un égard.
plus favorables.
opération de fusion en 2003 avec Phar- macia, qui incorpore déjà Upjohn et Pas encore président, mais tou- De ce fait, Pfizer va racheter Monsanto (dont les activités plus agri- jours à la tête de la politique indus- Wyeth, à peine moins grosse que lui, coles seront séparées dans une nou- trielle, Sarkozy va organiser une vérita- pour 68 milliards de dollars; Merck, re- velle entité"New Monsanto"),ainsi que ble OPA sur le groupe franco-allemand, lativement sage dans ces frénésies de Searle dont le président est alors l'an- sans doute toujours occupé à panser dépenses, reprend Schering-Plough Gresea Echos N°71
Economie des rentiers 17
pour 41,1 milliards; et Roche acquiert de l'estomac. On appel e cela des L'essentiel est de montrer qu'on est définitivement Genentech, spécialisée "grappes de brevets ("patent clusters" prêt à défendre son médicament, y dans les découvertes biotechnolo- en anglais) ou un "maquis de brevets" compris en consacrant des coûts éle- giques, pour 46 mil iards. Ce ne sont ("patent thickets" en anglais). Le Dr. vés d'avocats. De quoi impressionner plus quinze firmes qui dominent le sec- Dirk van Duppen constate, par exem- d'éventuels copistes, qui ne disposent teur, mais onze, douze, treize maxi- ple, que 26 licences dif érentes sont pas toujours d'autant de moyens. En mum. Rien ne dit que c'est d'ail eurs liées au Tagamet, le premier médica- outre, cela peut faire retarder l'intro- ment à succès contre les remontées duction de la "copie", le temps d'une Quand on se rappelle des labo- acides dans l'œsophage et un des ratoires moyens des années 70 et que "blockbusters" de GSK15.
Dès 1998,AstraZeneca va ainsi l'on regarde les géants actuels, on Une autre manière d'agir est de poursuivre Andrx Pharmaceuticals et s'aperçoit du chemin parcouru. L'an- créer un nouveau médicament à partir Genpharm pour violation de la pro- nexe 1, qui retrace l'évolution simpli- d'un changement minimal dans la molé- priété intel ectuel e sur l'oméprazole,la fiée, mais mouvementée, pour former cule de base, assurant une ef icacité substance à la base du Losec. Un an l'actuel Pfizer, ou l'annexe 2, qui re- plus grande, selon la firme qui met au plus tard, elle attaque Kremers Urban prend la même démarche pour un point ce nouveau brevet. De cette fa- Pharmaceuticals et Schwarz Pharma, groupe encore plus diffus, GSK, témoi- çon, on est reparti pour vingt ans avec deux filiales d'UCB qui produisent des gnent de ces bouleversements.
un nouveau médicament qui a la cou- génériques, Cheminor Drugs, Reddy- On a estimé que la valeur cu- leur, qui a le goût de l'ancien, mais qui Cheminor et Schein Pharmaceuticals.
mulée des fusions et acquisitions du- n'est pas l'ancien.
En 2000, c'est au tour de Lek Pharma- rant la première décennie du nouveau Grâce au succès duTagamet,As- ceutical and Chemical, Eon Labs Manu- siècle (2000-2009) se montait à 690 tra, la firme suédoise qui fusionnera facturing et Mylan Pharmaceuticals de mil iards de dol ars13. C'est un sacré avec Zeneca,lance en 1989 le Losec.La subir les foudres judiciaires de la trans- chif re, surtout si on le compare aux formule se base sur cinq molécules au nationale. Dans la plupart des cas,cel e- dépenses de recherches, censées être lieu de quatre et s'appelle en termes un ci risque de perdre.Par exemple,en oc- le centre névralgique du secteur, des peu plus techniques un inhibiteur de la tobre 2000, la justice australienne principales firmes14. Ces dernières ne pompe à protons16. Le brevet fonda- donne raison à Alphapharm Pty pour dépassent pas les 547,6 mil iards de mental expire an avril 2001 aux Etats- continuer la fabrication de génériques, dol ars, soit quelque 140 mil iards de Unis, en 2004 au Japon et de 2002 à affirmant que le brevet du Losec n'est moins que les fusions et les rachats. En 2005 pour la plupart des pays euro- plus valide17. Sur la base d'une enquête clair,pour être numéro un dans l'indus- péens. En outre, certaines licences du- effectuée par la Commission euro- trie pharmaceutique et bénéficier de la rent jusqu'en 2007.Mais les chercheurs péenne entre 2000 et 200718, le nom- rente monopolistique, le meil eur est d'AstraZeneca mettent immédiate- bre de différends entre firmes pharma- de racheter son plus proche concur- ment dès 2000 un nouveau produit du ceutiques et fabricants de génériques même type, le Nexium, dont les effets ont quadruplé entre les deux dates. Si cliniques sont déclarés supérieurs, de ces conflits sont conclus par une pro- Comment conserver sa rente?
sorte à justifier le passage des patients cédure à l'amiable, ils entraînent dans plus de la moitié des cas des limitations Les dangers s'accumulent, du Losec au Nexium. Et, pour ce der- pour l'entreprise de génériques. Si l'af- même pour des géants comme eux. nier, les brevets expirent en 2014 en faire est jugée,par contre,dans 62% des Mais, comme nous l'avons souligné, les Europe,2015 aux Etats-Unis et 2020 au cas, c'est celle-ci qui l'emporte. Mais il transnationales du secteur ont plus Japon.
faut attendre un délai moyen de 2,8 ans d'un tour dans leur sac pour conserver Au moment proche de la fin de pour une décision judiciaire, 6 mois leur position privilégiée.
la licence exclusive,la firme dépose une dans certains Etats, six ans pour d'au- Ainsi, ils peuvent ajouter des série de plaintes judiciaires contre tres. Et le coût total des litiges s'élève conditions supplémentaires aux bre- d'éventuels concurrents, susceptibles à 420 millions d'euros.
vets déposés. Ils peuvent préciser que ou en train de produire des génériques.
Une autre méthode est de de- l'un d'eux qui était destiné à résoudre Les al égations de la transnationale venir son propre producteur de géné- des problèmes du cancer du sein peut peuvent être parfaitement infondées. riques. L'avantage est que la firme a en maintenant être aussi utilisé pour celui Cela n'a qu'une importance secondaire. mains les conditions de production, Gresea Echos N°71
qu'el e ne doit pas créer de toutes conjugué avec une série impression- En Suisse, Adams est accusé pièces. Moyennant une baisse de prix nante de variétés. L'étape suivante est d'espionnage industriel et mis en pri- de 10 à 20%, l'entreprise dispose des de justifier la prise du médicament en son pendant six mois. Comme il ris- atouts pour faire reculer des concur- permanence. Ce qui est en train d'arri- quait vingt ans de geôle, sa femme se rents qui doivent démarrer de zéro de- ver pour l'aspirine de Bayer. Non seu- suicide. Lui-même doit se réfugier en vant le leader incontesté du marché, lement c'est un anti-douleur et un anti- Angleterre,lorsqu'il est remis provisoi- avec une diminution des tarifs certes inflammatoire et permet également de rement en liberté. Il ne mâche pas ses plus importante, mais qui laissera des calmer des fièvres. Maintenant elle se- mots:"Je ne suis pas contre le profit. Je marges bénéficiaires bien moindres.
rait un tranquillisant permettant de vi- suis un homme d'affaires.Mais je n'aime Comme l'écrit Philippe Pignarre: vre plus longtemps. Mais il faudrait en pas les marges excessives. Ce qui me "en fabriquant un générique vendu 10% prendre une par jour20.De quoi assurer révolte dans l'industrie pharmaceu- moins cher que l'original, par exemple, l'avenir à long terme, ainsi que les bé- tique, c'est le fait que les transnatio- l'industriel bloque le génériqueur po- néfices de la transnationale allemande. nales ne se satisfont même pas de bé- tentiel qui aurait pu le proposer 30% Inutile d'ajouter que de tels développe- néfices exorbitants… Elles ignorent le ou 40% moins cher,mais pour qui le jeu ments font horreur aux spécialistes,qui public sur le dos duquel elles réalisent n'en vaut désormais plus la chan- les trouvent au minimum hasardeux, ces gains faramineux, colossaux."21.
del e"19. C'est pourquoi des produits car on ignore généralement les ef ets dont la licence est expirée peuvent secondaires et les accoutumances du Notes
continuer à engendrer des ventes et corps humain provoqués par une telle 1.Wyeth,Rapportannuel2008,form10-K,pp.1-7: donc des profits importants.
Enfin, la nouvelle grande straté- gie pharmaceutique est de se concevoir tel e une firme de cosmétiques. Pour s'est constitué en un puissant cartel nyid=LLY&fid=950123-10-14958&cik=59478. cel e-ci, il y a la société de tête, par monopolistique, qui peut imposer des 3.Merck,Rapportannuel2009,form10-K,p.11: exemple L'Oréal ou LVMH, puis il y a prix élevés et se voir ainsi récompensé http://www.merck.com/investors/financials/form-10-K-2009- les marques (Garnier,Lancôme,Cacha- par des bénéfices plantureux. Cette si- final.pdf. rel,Vichy,Dior,Vuitton…).Le but est de tuation s'est forgée dans les années 70, 4.Elle-mêmeissuedelarencontreentreFriedrichBayeret Jo- fidéliser la clientèle à un nom particu- avec l'exigence de la part des pouvoirs hannFriedrichWeskottquiformenten1863àBarmen,dansl'ac- lier qui ne représenterait plus un médi- publics de tests plus approfondis pour tueldistrictdeWuppertal,unesociétédeteinturessynthétiques. cament, mais un ensemble de services homologuer les médicaments. Cela 5.PhilippePignarre,Legrandsecretdel'industriepharmaceu- médicaux dits de qualité. On dépasse s'est traduit par nombre de fusions qui tique,éditionsLaDécouverte,Paris,2004,p.47. largement le cadre du brevet alors, car ont abouti à la constitution d'un groupe 6.Lecomitédesconseillerséconomiques,ungrouped'écono- le patient achète en priorité le produit d'une douzaine de firmes, le Conseil mistesdirectementrattachésàlaMaisonBlanchepourl'aiderà comprendre et à analyser la situation économique. de la marque en question.Le client éta- des Douze, quasi omnipotent dans l'in- 7.JosephStiglitz,Quandlecapitalismeperdlatête,Paris,éditions blit lui-même sa propre médication, dustrie. Ceci n'a été évidemment pos- Fayard,2003,pp.198-199. choisit le moyen adéquat de se soigner sible qu'avec le concours soit actif, soit 8.PhilippePignarre,op.cit.,p.86. au sein de la gamme et se rend de plus tacite, des autorités publiques. C'est ce 9.RaymondRigoni,AdrianGriffiths&WilliamLaing,Lesmultina- en plus dépendant du groupe pharma- que montre le parcours particulière- tionales de la pharmacie, éditions PUF, Paris, 2005, pp.9-11. ceutique. Plus besoin de médecin que ment interpel ant de StanleyAdams.Di- 10.CongressofUnitedStates(CBO),ResearchandDevelopmentin dans les cas graves.
recteur de la production chez Hof- thePharmaceuticalIndustry,octobre2006,p.39: Il suffit de voir les sites des en- mann La Roche, il découvre en 1973 http://www.cbo.gov/sites/default/files/cbofiles/ftpdocs/76xx/do treprises pour voir à l'œuvre cette po- des documents internes à son entre- litique axée sur la publicité et la com- prise montrant que celle-ci maintenait 11.Iln'estpasbond'êtretropgrand. mercialisation. Chez Johnson & John- artificiellement à la hausse les prix des 12.Elleserarachetéeen2007parAkzoNobel. son, on soigne son diabète soi-même vitamines qu'elle vendait. Il livre ces té- 13.IrvingLevinAssociates,«Ten-YearDataonPharmaceutical Mergers and Acquisitions, from DealSearchOnline.com, Reveals avec OneTouch et des conseils alimen- moignages à la Commission euro- TopDealsandKeyCompanies»,BusinessWire,25mars2010: taires diffusés sur le site de la marque. péenne pour inculpation.Malheureuse- http://www.businesswire.com/news/home/20100325006516/e Pour Merck, les al ergies - pourtant ment, dans ses investigations,la CEE ré- n. dieu sait combien il y en a de dif é- vèle la source de ses informations.
14. Les seize leaders : Pfizer, Johnson & Johnson, Novartis, Sanofi, rentes - sont traitées par Claritin, Aventis, Merck, GSK, Roche, Abbott Laboratories, AstraZeneca, Eli Gresea Echos N°71
Lilly, Bristol-Myers, Wyeth, Schering-Plough, Pharmacia et Boeh- ringer Ingelheim. 15. Dirk van Duppen, La guerre des médicaments. Pourquoi sont- ils si chers ?, éditions Aden, Bruxelles, 2005, p.123. 16. Sans entrer dans les détails, la pompe à protons déplace ces derniers dans le corps humain, ce qui a pour effet de rendre plus acide l'estomac notamment. Un inhibiteur va agir sur ce phéno- mène durant une période assez longue, de 18 à 24 heures, pour réduire la production d'acidité gastrique. 17. Ces exemples sont repris de différents rapports annuels d'As- 18. Commission européenne, « Synthèse du rapport d'enquête sur le secteur pharmaceutique », Communication, Bruxelles, 8 juillet 19. Philippe Pignarre, op. cit., p.139. 20. C'est le cas pour ceux qui ont connu une crise cardiaque, car le médicament prévient la formation de caillots de sang dans les vaisseaux. Ce qui fait qu'environ un million de Belges consomment quotidiennement une faible dose d'aspirine (de Bayer ou d'au- tres). Mais, ici, il s'agirait d'étendre ce principe à quasiment tout le monde, en prévention. 21. Cité par Mohamed Larbi Bouguerra, La Recherche contre le tiers-monde, éditions PUF, Paris, 1993, p.208. Gresea Echos N°71
Quand Big Pharma
s'emmêle dans la politique
d'une rente mono-
qu'elles tissent en permanence avec les triel es et de recherche pharmaceu- polistique n'est en- principaux responsables des Etats, ins- tiques de l'Amérique), créée en 1958.
visageable qu'avec un certain
titutions internationales et autres ap- El e est composée de 46 entreprises soutien politique. Dans le cas
pareils des pouvoirs publics.
membres, dont les plus grandes trans- de l'industrie pharmaceu-
nationales (en ce comprises, des socié- tique, c'est même bien davan-
Le lobbying, une seconde
tés européennes et japonaises).
tage, car tout est réglementé
par des mesures censées pro-
La seconde est l'International Une estimation prudente évalue téger le patient et la qualité
Federation of Pharmaceutical Manufac- à 91 millions d'euros la somme dépen- des soins offerts.
turers & Associations ou IFPMA (en sée par les groupes et organisations français: la fédération internationale En ce 15 avril 1994, les lob- supposés défendre les intérêts des en- des associations et entreprises phar- byistes de l'industrie pharmaceutique treprises pharmaceutiques au niveau maceutiques), basée à Genève depuis ont de quoi être satisfaits. Les accords de l'Union européenne. C'est un mon- 1968. El e compte 51 associations na- pour constituer une nouvel e institu- tant assez proche de celui avancé pour tionales et 27 transnationales parmi ses tion internationale, l'Organisation leurs pendants américains: 115 millions membres. Comme son nom l'indique, mondiale du commerce (OMC), sont de dol ars (soit au cours moyen el e représente l'industrie au niveau signés par 77 Etats. Ils contiennent d'échange entre le dol ar et l'euro en mondial.
pour la première fois une clause 2011,83 millions d'euros).1A comparer Et la petite dernière est l'Euro- concernant les brevets, intitulée "Ac- aux 3,4 millions d'euros fournis par la pean Federation of Pharmaceutical In- cord sur les aspects des droits de pro- société civile s'occupant de médica- dustries andAssociations ou EFPIA (en priété intel ectuel e qui touchent au ments et de santé. C'est la lutte entre français :la Fédération européenne des commerce" (ADPIC, en anglais,Agree- le pot de terre et le pot de fer.
associations et industries pharmaceu- ment on Trade-Related Aspects of In- Selon le registre de transpa- tiques), née en 1978 et instal ée à tel ectual Property Rights ou TRIPS). rence de l'Union européenne qui re- Bruxel es. En font partie 19 associa- Dorénavant, il sera interdit à un quiert des sociétés et personnes exer- tions nationales à part entière et 14 fé- pays membre ou une entreprise de ce- çant officiellement une influence sur les dérations associées, 35 firmes pharma- lui-ci de copier une licence impuné- décisions européennes de s'inscrire,il y ceutiques (dont deux af iliées), 56 so- ment. Si c'est le cas, il sera possible au aurait 220 lobbies actifs à ce niveau. 23 ciétés de biotechnologies regroupées gouvernement de l'entreprise lésée de firmes pharmaceutiques auraient con- dans l'European Biopharmaceutical En- porter plainte à l'Organe des dif é- sacré un total de 18,9 millions d'euros terprises (ou EBE; en français: les en- rends, le tribunal du commerce inter- à cette fonction, soit 820.000 euros en treprises biopharmaceuticales euro- national, et sans doute d'obtenir gain moyenne par compagnie.2 Mais tout péennes) et 10 compagnies de vaccins porte à croire que ces chiffres sont to- assemblées dans l'European Vaccine talement sous-évalués. Aux Etats-Unis, C'est une disposition demandée Manufacturers (ou EVE; en français: les où les procédures semblent plus clai- depuis longtemps par les géants phar- producteurs de vaccins européens). En res, on dénombre 1.498 organisations maceutiques pour protéger leurs "dé- général, il s'agit des mêmes sociétés de ce type.Pourquoi y en aurait-il beau- couvertes" le plus longtemps possible dont la maison mère se retrouve dans coup moins en Europe? et pour freiner la production de géné- les firmes pharmaceutiques, la filiale riques, en particulier dans le Tiers- Le secteur est représenté par biologique à l'EBE et le département monde. Ce succès en dit long sur la ca- de puissantes fédérations. La plus an- vaccins à l'EVE.
pacité de ces firmes de faire admettre cienne est la Pharmaceutical Research Toutes ces fédérations repré- leurs points de vue sur le plan politique and Manufacturers of America ou sentent l'industrie à leur niveau: la Gresea Echos N°71
Lobbies 21
PhRMA aux Etats-Unis et l' EFPIA en tellement décisive dans les orientations faires sociales pour les entreprises et Europe.Elles n'hésitent pas à arroser le passées de l'Union européenne (mar- qui est donc active aux G206 et à l'Or- monde politique de versements, de ché intégré,monnaie unique,processus ganisation internationale du Travail même que les transnationales. En Eu- de Lisbonne…), Franz Humer, prési- (OIT).
rope, il est plus difficile de tomber sur dent de Roche,société pourtant suisse, On retrouve Abbott, Amgen, les montants engagés. De l'autre côté assure le suivi du secteur depuis 2001. Baxter, Bayer, Eli Lilly, GSK, Novartis, de l'Atlantique, c'est tout à fait officiel Par le passé, des dirigeants d'AstraZe- Pfizer, Merck Serono, filiale du groupe et c'est repris dans le tableau 1.
neca, d'Aventis,de Bayer,de Ciba-Geigy Tableau 1. Evolution des montants versés par l'industrie pharmaceutique aux candidats lors des élections américaines
Total (en millions de dollars) Part Républicains (en %) Part Démocrates (en %) On voit que les sommes sont dans Europabio, le regroupement de multipliées par dix entre 1990 et 2002. et de Solvay sont passés par l'associa- l'industrie biotechnologique, dont l'ac- En général, el es vont majoritairement tion. Mais c'est Roche qui est la plus tivité en matière de santé européenne au parti républicain, plus à droite, plus présente (en fait, depuis 1989).
est très importante.
favorable au libre-échange. Ce n'est Dans son pendant américain, que lors des deux dernières élections The Business Roundtable (fondée en Un marché totalement régulé
que le secteur a un peu plus aidé finan- 1972 et dont l'ERT a pris modèle dans Ce lien étroit entre l'industrie cièrement le camp démocrate.
son organisation), il y a un dirigeant, pharmaceutique et le monde politique souvent le président ou le PDG, d'Ab- est encouragé par la manière dont la Il n'y a pas de petits lobbies
bott, d'Amgen, de Bayer4, d'Eli Lilly, de production de médicaments est orga- Les entreprises pharmaceu- Johnson & Johnson, de Merck, de Pfizer nisée pour arriver au patient. Comme tiques sont représentées dans les lob- et de Sanofi.Cela montre une solide re- l'écrit Philippe Pignarre: le marché "est bies les plus puissants à l'échel e du présentation, mais il y a 215 membres, depuis longtemps le plus encadré qui monde. Ainsi, on trouve deux d'entre contre 45 dans l'ERT.
soit. Mieux, c'est une des conditions de el es dans leTransAtlantic Business Dia- Dans un autre temple du patro- son fonctionnement"8.
logue (TABD), qui réunit des compa- nat américain,l'US Council for Interna- Cela commence immédiate- gnies des deux côtés de l'Atlantique en tional Business (USCIB; en français le ment dès la découverte d'une nouvelle vue d'influer sur les décisions en ma- conseil américain pour les af aires in- molécule guérisseuse ou d'un nouveau tière de commerce international, en ternationales), sont membres: Eli Lil y, médicament.Depuis l'accident du thali- particulier celles de l'OMC : Merck et Johnson & Johnson, Merck, Pfizer et domide au début des années 60,les au- Pfizer. Il n'y a pas si longtemps Astra- PhRMA, la fédération pharmaceutique. torités publiques interviennent forte- Zeneca en était membre également. Créée en 1945, l'USCIB représente les ment pour assurer une sécurité maxi- C'est cette organisation qui a pesé sur intérêts américains dans les associa- male. Aux États-Unis, c'est la FDA les négociations pour obtenir un nou- tions patronales internationales (Food and DrugAdministration) qui ac- vel organe de commerce international comme le BIAC (Business and Industry corde la validité des brevets.En Europe, avec des pouvoirs très étendus et qui Advisory Committee) qui intervient au c'est l'Agence européenne des médica- déclarait à cette époque que 50% de niveau de l'OCDE5.
ments (en:European MedicinesAgency, ses propositions étaient reprises telles EMA). Aujourd'hui, cela passe par un quelles par les autorités américaines et Il est également présent à la processus parfois long et tortueux. Il Chambre de Commerce internationale (CCI), qui agit aux Nations unies, ou à faut passer par l'épreuve des tests cli- Dans la Table ronde des indus- l'Organisation internationale des Em- niques. Avoir les meil eurs rapports triels européens (ERT pour European ployeurs (OIE), qui s'occupe des af- avec les dirigeants de la FDA et de Roundtable of Industrialists), qui a été l'EMA est une priorité pour les trans- Gresea Echos N°71
pour les transnationales intervient générale de la santé publique et de la Pourtant, à ce stade, une ano- lorsque il faut décider du rembourse- lutte contre les épidémies à un niveau malie apparaît immédiatement: ce sont ment ou non par la sécurité sociale directement européen.
les firmes elles-mêmes qui font passer d'un médicament. Si c'est le cas, le pro- Rapidement, le département les études de validité demandées éven- duit va être encouragé, car il sera nor- des entreprises du commissaire finlan- tuellement par les autorités publiques, malement à la portée des bourses les dais Erkki Li kanen11 va déborder les car cel es-ci ne disposent pas de per- moins fournies et il pourra être pres- bonnes dispositions vertueuses de la sonnel suf isant pour l'assurer. Inutile crit aisément par un médecin. De nou- nouvel e DG et axer toute son atten- d'ajouter que la tentation de tricher,de veau, la sélection est af aire étatique, tion à la compétitivité.Il va demander à corrompre, d'oublier les faiblesses du dans laquelle ne cessent d'interférer les trois professeurs italiens un rapport projet, de souligner uniquement ses firmes pharmaceutiques qui y voient sur la situation du secteur pharmaceu- forces… ne peut qu'être forte.
une occasion d'étendre leur marché.La tique européen.Ceux-ci publient le ré- sécurité sociale, el e, ne participe pas Cela aboutit à une seconde con- sultat de leurs recherches en novem- directement à ce débat. En revanche, séquence: une bonne partie de la re- bre 2000, ce qu'on appelle le "rapport elle casque.
cherche associée à ces discussions de brevetage est dominée par les spécia- Le grand forum européen de la
Leurs conclusions sont sans ap- listes de l'industrie. Cela minore auto- compétitivité
pel: "c'est maintenant une perception matiquement les experts dissidents qui Ce n'est que progressivement répandue que l'industrie pharmaceu- auraient des doutes sur les qualités du que le domaine de la santé est entré- tique européenne perd du terrain par médicament testé.Au besoin,il est pos- dans la compétence de l'Union euro- rapport aux États-Unis"12. Cela a été sible d'inonder les publications scienti- péenne. Dans le traité de Maastricht de surtout le cas durant les années 90.Les fiques de preuves soi-disant évidentes 1991, cel e-ci est af irmée solennel e- causes en sont multiples, selon les au- que les analyses sont bien menées et ment, mais sans réel e conséquence. teurs du document. D'abord, les dé- qu'el es révèlent un produit non Ce n'est qu'avec le traité d'Amsterdam couvertes, les innovations et leur toxique, non dangereux et aux effets de 1997 qu'un premier article 129 (de- transformation en produits finis sont secondaires très limités. Et même, on venu par la suite 152) déclare:"Un ni- meil eures aux États-Unis, ce que les peut employer les grands moyens et veau élevé de protection de la santé grandes firmes européennes résolvent réduire le récalcitrant au silence, en humaine est assuré dans la définition et en s'implantant outre-Atlantique et en l'éjectant des grandes revues de la pro- la mise en œuvre de toutes les poli- y profitant également de l'effort de re- fession, voire en le faisant limoger de sa tiques et actions de la Communauté. cherches. Mais ce n'est pas le cas des position (par exemple, s'il est à l'uni- L'action de la Communauté, qui com- plus petits laboratoires.Ensuite,les mé- versité ou à la tête d'un organisme pu- plète les politiques nationales, porte thodes de fixation des prix protègent blic). L'importance de la licence est sur l'amélioration de la santé publique les champions nationaux, notamment telle pour la firme,puisqu'elle lui donne et la prévention des maladies et des af- dans les grands pays de l'Union. Enfin, un droit exclusif sur ce segment du fections humaines et des causes de les coûts salariaux sont trop élevés et marché, un véritable monopole où danger pour la santé humaine. Cette la productivité trop basse en Europe cel e-ci pourra dicter ses prix, qu'el e action comprend également la lutte par rapport aux États-Unis.
est prête à tout pour l'obtenir. Il n'est contre les grands fléaux,en favorisant la Ils terminent leur examen: "A donc pas rare de voir des entreprises recherche sur leurs causes, leur trans- cet égard, le renforcement de la pharmaceutiques fricoter avec des mission et leur prévention ainsi que concurrence à un niveau européen scientifiques en leur accordant des l'information et l'éducation en matière constitue un prérequis fondamental avantages pour qu'ils disent du bien de de santé."9.
pour inciter des firmes moins inno- leurs produits. Certains entrent dans vantes à adopter des stratégies plus les équipes de recherche surpayées de Dans ce cadre, une nouvelle di- axées sur la créativité et une efficacité ces géants.Il n'est pas toujours facile de rection générale a été créée en 1999: plus élevée. D'un côté, une forte pro- trouver un expert réellement indépen- cel e de la Santé10. Et un commissaire tection des brevets pour les produits dant qui peut donner un jugement cri- prend en charge cette nouvel e res- qui en bénéficient devrait être garantie ponsabilité. Le premier à exercer cette fonction est l'Irlandais David Byrne. Il et renforcée. D'un autre côté, les auto- Un second moment essentiel propose une politique d'amélioration rités nationales de santé publique de- Gresea Echos N°71
vraient davantage s'appuyer, dans la ré- dans le domaine de la santé publique peut-elle bien représenter, les patients, gulation du marché, sur des méthodes (2003-2008). Et la Commission dépose ses bâilleurs de fonds ou son mentor? de management novatrices et sur des une communication sur le secteur, en Le document qui en sort en mécanismes de concurrence, plutôt juillet 2003.Dans le cadre du processus 200818 réitère les exigences du groupe que sur des systèmes excessivement de Lisbonne qui doit faire du continent G10 Médicaments.Il insiste sur l'infor- fondés sur des décisions administra- l'économie de la connaissance la plus mation donnée aux patients, de sorte tives et des règles bureaucratiques."13. dynamique et la plus compétitive du que celui-ci puisse choisir lui-même la L'orientation pro-entrepreneu- monde pour 2010, l'industrie pharma- manière de se soigner. Cela peut per- rial du rapport ne devrait pas trop ceutique est capitale. Dès lors, les diri- mettre à celui-ci de s'attacher au ser- étonner. Malgré sa profession acadé- geants européens axent tout leur mes- vice d'une firme pharmaceutique et mique, Fabio Pammol i sert régulière- sage sur le fait que,pour le bien des pa- d'en devenir un client fidèle.Le rapport ment comme conseil er aux transnatio- tients, il faut un secteur fort et créatif: souligne également la nécessité des nales, gouvernements et institutions in- "L'industrie pharmaceutique euro- partenariats entre public et privé,entre ternationales. Pourtant, c'est sur la péenne est source de prospérité et industrie, scientifiques, médecins et pa- base de cet écrit que la DG Entreprise d'emplois de haute qualité, tout en tients.
et son commissaire vont mettre sur étant un moteur essentiel de l'amélio- De nouveau, ce sera l'occasion pied en 2001 un groupe de haut niveau, ration de la santé publique,avec les mil- d'un deuxième programme d'action intitulé G10 Médicaments. Celui-ci est lions de citoyens européens qui,chaque communautaire pour la santé publique composé de treize membres, dont les jour, consomment des médicaments (2008-2013) et d'une nouvelle commu- deux commissaires en charge du dos- pour préserver et améliorer leur état nication de la Commission.L'un et l'au- sier (Santé et Entreprise), les ministres de santé."16 .
tre reproduisent les conclusions du de la Santé des trois principaux pays de Mais le nouveau commissaire à groupe de haut niveau.En aucun cas,la l'Union, le président d'EFPIA (à l'Industrie et aux Entreprises, le social- mainmise sur la santé par le secteur l'époque le patron de Sanofi), le prési- démocrate al emand Günter Verheu- pharmaceutique n'est questionnée.
dent de GSK Europe,celui de l'associa- gen, estime que cela ne va pas encore D'aucune manière,les bénéfices colos- tion européenne des producteurs de assez loin. Il constitue le forum phar- saux des firmes ne sont remis en cause.
génériques (EGA14), dont les membres maceutique en 2005. Celui-ci est com- Et, s'il faut garantir une sécurité aux sont, entre autres,Teva ou Sandoz, la fi- posé des deux commissaires compé- malades,le point de vue initial est celui liale de Novartis, celui de l'association tents, de représentants des 27 États du soutien et de la recherche de la européenne de l'industrie d'automédi- membres, de trois délégués du Parle- compétitivité pour créer des géants qui cation (AESGP15), qui regroupe en fait ment européen et d'une série d'asso- pourront conquérir et dominer le des fédérations patronales comme ciations dont les éternelles fédérations monde.
pharma.be. Rien que du beau monde! patronales (EFPIA, EGA,AESGP et Eu- Cette "task force" va avoir un ropabio). Il y a aussi les pharmacies, les De quoi prendre tout le secteur
impact très important. Il remet son sociétés d'assurances et les mutuelles. en grippe…
rapport en mai 2002 avec 14 proposi- A côté de cela,l'organisation qui En 2004, apparaît une nouvel e tions concrètes. Son but est de répon- représente les patients est l'European forme de maladie virale particulière- dre à la question de compétitivité po- Patients Forum (EPF ; le forum euro- ment dangereuse, la grippe aviaire sée par le rapport Pammolli.Cela va du péen des patients). Problème : cette A/H5N1.L'Organisation mondiale de la renforcement de la concurrence dans union est financée largement par l'in- santé s'inquiète assez rapidement. Elle les domaines où il n'y a pas de pres- dustrie pharmaceutique. Ainsi, dans le pronostique l'expansion de l'épidémie, cription du médicament à l'améliora- rapport annuel de 2011, sur 800 mil- lançant des chiffres alarmants: 100 mil- tion des règles administratives, en pas- lions d'euros de recettes, 11 mil ions lions de morts et plusieurs milliards de sant par la constitution d'une base de viennent des cotisations des membres, personnes atteintes à l'échel e mon- données entre autres pour ce qu'on 420 mil ions des dons des entrepri- diale. Il n'en sera rien. Le nombre de appelle la pharmacovigilance.
ses17. Les plus généreux sont men- décès s'arrêtera en 2008 à 248.
Sur cette base, le Parlement eu- tionnés: AstraZeneca avec 50 mil ions Mais cette situation est une au- ropéen adopte un premier programme et GSK pour 42 mil ions. La Commis- baine pour les transnationales qui peu- quinquennal d'action communautaire sion, pour sa part, contribue à hauteur de 137 mil ions. Qui cette association vent livrer des vaccins en grande quan- Gresea Echos N°71
tité avec des bénéfices élevés. Les gou- toproclame leader mondial dans les Seulement, sur les quinze mem- vernements, alertés par l'OMS, ne ré- vaccins contre la grippe. Les risques de bres de la commission scientifique qui sistent pas à la tentation d'en comman- contagion ont donc fait progresser les a accordé la priorité à GSK, cinq au der des stocks entiers. En outre, ils en ventes de tels produits de 683 millions moins présentent des liens avec la ont besoin d'urgence, ce dont les d'euros en 2004 à 2 milliards un an plus firme pharmaceutique. Certains reçoi- firmes profitent pour demander un tard, puis à 3,8 milliards en 2010.Avec vent des subsides pour leurs re- prix avantageux.
la bénédiction du gouvernement fran- cherches ou leur clinique, cosignent Le grand producteur de pro- çais, bien sûr.
des articles avec des experts du centre duits antiviraux est l'entreprise suisse En Belgique, l'affaire est encore de recherches de l'entreprise pour Hoffman-Laroche.Il a racheté l'exclusi- plus épineuse.En octobre 2005,au mo- vanter les mérites des vaccins, partici- vité de l'oseltamivir à Gilead Sciences ment où la grippe aviaire est aux portes pent à des conférences données par et le vend sous le nom de Tamiflu. Il va de l'Europe, un comité de pilotage "In- cel e-ci… Le président du comité lui- largement en profiter, comme le mon- fluenza" est créé, ainsi qu'un comité même,le docteurYvesVan Laethem,re- tre le tableau 2.
scientifique qui lui fournit des conseils. connaît être un consultant rémunéré de plusieurs compagnies, Tableau 2. Évolution des ventes du Tamiflu depuis son apparition en 1999 (en millions de francs suisses)
GSK, Sanofi, Crucel , Wyeth et Pfizer23.
Il n'est pas le seul Belge à se faire épingler pour connivence avec les milieux des affaires.René Snacken, chef du dépar- tement d'épidémiologie de l'Institut de santé pu- Source: Roche, Rapports annuels, différentes années.
blique jusqu'en 2008, au- Note: La première ligne indique les montants des ventes du Tamiflu en millions de francs suisses ; la seconde représente le taux de change du dollar en francs suisses ; la troisième, les sommes en millions de dollars ; la quatrième, celles-ci en pourcentage du total teur du plan d'action des ventes de la firme, soit son chiffre d'affaires (CA).
belge en cas de pandé- On remarque la progression mie, a rédigé un pro- soudaine des ventes en 2005. Celles-ci Début 2008, celui-ci propose l'achat gramme similaire en 1999 pour l'OMS.
quintuplent quasiment et passent d'un d'un stock stratégique de vaccins, dont Or, à cette époque, il présidait le modeste 1% du chiffre d'affaires à 4,4%, l'antigène20 et l'adjuvant21 sont condi- Groupe de travail scientifique euro- l'année suivante.Tout est bon pour le tionnés séparément.
péen sur l'influenza (ESWI),un lobby fi- profit. Quitte à demander à des sous- Or,seul GSK réalise un vaccin,le nancé à 100 % par Roche, GSK, Baxter, traitants comme Shanghai Pharmaceu- Pandemrix, qui utilise deux flacons dif- Novartis… Ce qu'il n'a révélé à per- ticals en Chine and Hetero Drugs en férents pour l'antigène et l'adjuvant. En sonne. Selon le British Medical Journal, Inde de suppléer à l'offre19.
avril, avec la grippe H1N1, appel iden- il aurait aussi écrit un article pour louer les produits de Roche. Et, comme par En 2008, les ventes baissent ra- tique des experts. Aussi le gouverne- hasard, il a été consulté en 2002 par dicalement avec la fin de l'alerte. Mais ment achète-t-il 12,6 millions de doses l'Agence européenne du médicament celle-ci est relayée par une autre pan- à la transnationale britannique pour qui accorde les licences sur l'opportu- démie, la grippe H1N1. D'où la forte 110 millions d'euros22.
nité d'avaliser le Tamiflu (que Roche progression des montants en jeu.Cette réalise), alors que les effets cliniques fois, ils assurent plus de 6% du chif re étaient peu convaincants à l'époque.24 d'affaires en 2009, avec une diminution les années suivantes. Il est incontesta- Le comble est que GSK a vendu ble que de telles menaces ont amélioré 300 millions de doses à une soixantaine la situation financière du groupe de gouvernements pour 2,3 mil iards d'euros. La filiale de Rixensart a bénéfi- cié de royalties pour environ un mil- Un autre bénéficiaire de ce liard d'euros. Par un tour de passe- genre d'épidémies est Sanofi, qui s'au- passe entre filiales européennes, ce Gresea Echos N°71
Arroseur et arrosé 25
montant n'a été taxé qu'à 3%. Il en ré- Notes
sulte une perte sèche pour l'État belge 13. Alfonso Gambardella, Luigi Orsenigo et Fabio Pammolli, op. de 320 millions d'euros25. Le taux d'im- 1.CEO,"Divide&Conquer:AlookbehindthescenesoftheEU cit., pp.90-91.[14. European Generic Medicines Association. position de GSK Biologicals est passé pharmaceuticalindustrylobby",ResearchPaper,mars2012,p.31: 15. Association of the European Self-Medication Industry. très bizarrement de 25% en 2006 à un http://www.corporateeurope.org/sites/default/files/28%20Marc 16.Commission européenne, "Renforcer l'industrie pharmaceu- peu plus de 2% en 2011, alors que le h%202012%20DivideConquer.pdf. tique européenne dans l'intérêt des patients – Propositions d'ac- bénéfice est assez similaire. Au total, 2.CEO,«Divide&Conquer:AlookbehindthescenesoftheEU tion", Communication au Conseil, au Parlement européen,au entre 2006 et 2011, en six ans, la firme pharmaceuticalindustrylobby»,ResearchPaper,mars2012, Comité économique et social européen et au Comité des Régions, a réalisé un profit cumulé avant impôt Bruxelles, le 1er juillet 2007, p.4 : http://eur-lex.europa.eu/LexU- de 5,3 milliards d'euros, mais n'a versé h%202012%20DivideConquer.pdf. 17. EFP, Rapport annuel 2011, p.40 : http://www.eu- que 703 millions d'euros au fisc, soit à 3.CorporateEuropeObservatory,"TransatlanticBusinessDia- un taux réel de 13%.
logue. Putting the Business Horse Before the Government Cart", 25 octobre 1999 : http://archive.corporateeurope.org/tabd/berlin- 18. High Level Pharmaceutical Forum 2005-2008, Conclusions Conclusions: le monopole est
and Recommendations, Bruxelles, 2008 : http://ec.europa.eu/en- 4. Contrairement à l'ERT qui n'accepte que des Européens comme membres, la Business Roundtable est plus ouverte. Non seule- Pour pouvoir organiser une do- ment,elleadesreprésentantsdefirmeseuropéennes,maismême 19. Roche, Rapport annuel 2005, p.23 : mination sans partage sur l'économie desdirigeantsdelasociétémère,c'est-à-direvenantdececôtéde d'une région, d'un pays, d'un continent, l'Atlantique. 20. Un antigène est une naturelle ou synthétique, reconnue par il faut nécessairement avoir des appuis 5. L'OCDE(OrganisationdeCoopérationetdeDéveloppement des ou des du et capable d'engendrer une réponse . parmi les gouvernants. Cette nécessité Économiques)estleclubdespays«riches».Ilrassemblequelque 21. Un adjuvant est quelque chose ou quelqu'un qui aide à l'ac- est doublée dans le cas de l'industrie 30États,maisapourmissionessentielledepublierdesétudesdo- complissementd'unprocessus,renforçantouajoutantdespro- dans un sens très libéral. tiques de celle-ci, à savoir que tout est 22. David Leloup, "Grippe A/H1N1 : Conflits d'intérêts", Politique 6. Le G20 rassemble les 20 pays les plus influents dans le monde régulé, depuis la recherche, la recon- n°67, novembre-décembre 2010 : pour essayer d'accorder une politique économique commune à naissance des brevets,jusqu'à la fixation 23. David Leloup, "Choix du vaccin : cinq experts liés à GSK", Poli- 7. Au moment de la Première Guerre mondiale, la firme alle- tique n°67, novembre-décembre 2010 : Le secteur en a bien conscience mandeMerckvaperdresespropriétésàl'étranger,notamment aux États-Unis. Ce qui va permettre le développement autonome pour financer et"arroser" aussi bien les delafilialeoutre-Atlantiquequivagarderlemêmenom.Pour 24. David Leloup, « OMS : manque de transparence et d'indépen- responsables d'institutions, d'orga- éviter la confusion, la firme américaine a le droit de garder son dance », Politique n°67, novembre-décembre 2010 : http://poli- nismes de contrôle, que les experts ou nomsurlesautrescontinents,maisenEuropeelles'appelleMSD les décideurs, qui peuvent avoir une (pourMerckSharpandDohme).Aujourd'hui,lesdeuxsociétés 25. Le Vif, 23 août 2012. quelconque influence sur les ventes et n'ontplusrienencommun. les bénéfices des firmes. Celles-ci sont 8. PhilippePignarre,Legrandsecretdel'industriepharmaceu- présentes dans les lobbies généraux ou tique,éditionsLaDécouverte,Paris,2004,p.162. les principaux think tanks, où se ren- 9.Unioneuropéenne,Traitéd'Amsterdam,Journalofficieln°C 340 du 10 Novembre 1997: http://eur- contrent hommes d'af aires et diri- lex.europa.eu/fr/treaties/dat/11997D/htm/11997D.html. geants des pouvoirs publics.
10. Il faut préciser qu'en 1996 éclate le scandale de la maladie de Il ne s'agit même plus de pres- lavachefolleetquecelle-ciinquièteàlafoisl'opinionpubliqueet sion exercée d'un côté de la barrière. lesresponsableseuropéens. C'est une connivence permanente en- 11.Actuellement,ErkkiLiikanenestprésidentdelabanquede tre les uns et les autres, ceux-ci pou- Finlande.Decefait,ilsiègeauconseildesgouverneursdela Banque centrale européenne et au conseil d'administration du vant passer d'un poste ou d'une fonc- Fondsmonétaireinternational.Ilestmembredenombreuxthink tion à l'autre, devenant tour à tour tanksouautresgroupesdediscussionauxmembrestriéssurle consultant pour une entreprise phar- volet comme la Trilatérale, Friends of Europe, European Policy maceutique, participant à un groupe de Centre.Ilaétésecrétairegénéraldupartisocial-démocratefin- haut niveau de la Commission euro- landaisde1981à1987. péenne, responsable d'un organe of i- 12.AlfonsoGambardella,LuigiOrsenigoetFabioPammolli,Glo- ciel de surveil ance, et, pourquoi pas, balCompetitivenessinPharmaceuticals.AnEuropeanPerspective, Report prepared for the Enterprise Directorate-General of the Eu- enfin, administrateur d'une de ces ropeanCommission,novembre2000,p.1: Gresea Echos N°71
Le Belge a-t-il une brique ou
un médicament dans son
ment va, tout
prises pour créer un ensemble ceutique belge en 2011 (en unité et en %)
va. 78% des
compétitif à l'avenir. Il s'agit de Belges sont propriétaires de
se fonder sur la recherche,d'ac- leur logement. Les expres-
cueil ir les investissements sions associant Belgique et la
étrangers et d'assurer une GSK construction sont nom-
synergie entre tous ces acteurs. Johnson & Johnson breuses. Mais ne devrait-il pas
Le hic est que, d'une part, ce Pfizer en être de même pour l'indus- sont les transnationales qui re- Baxter
trie de la santé?
partent avec le pactole et les UCB Pharma La Belgique a un passé pharma- bénéfices; d'autre part, el es Novartis ceutique important. On en veut pour sont toujours les maîtres des Merck Sharp and Dohme preuve le nombre de laboratoires indé- décisions d'investissements et Autres majors pendants dressés au fil des années:Jans- donc des emplois. C'est donc Autres sen Pharmaceutica créé par le Dr. Jans- un pari hautement risqué, ce Total sen en 1953 (repris en 1961 par John- genre de compagnies pouvant Source : Calculs sur base de différentes compagnies, rapport an- son & Johnson);l'Union chimique belge déménager aussi vite qu'el es nuel 2011.
apparue sous l'égide d'Emmanuel Jans- sont venues.
Note: Le total de l'emploi est sans doute plus important. Nous sen1 en 1920 et qui progressivement se Le nombre de personnes avons repris les firmes inscrites à la fédération patronale belge, l' tourne vers les médicaments2; la so- travail ant pour des firmes à (site: pharma.be), et qui déposaient des comptes annuels à la ciété Christiaens S.A. fondée en 1835 orientation pharmaceutique Banque nationale.
et la firme Sanders Probel née en 1910, (santé humaine, animale, vaccins ou tant dire que le secteur est très qui ont fusionné en 1992 pour devenir soins humains en général) avoisine les concentré, puisque, en outre, il est na- Nycomed Belgique, rachetée en 2011 30.000 en Belgique, des deux côtés de turellement extrêmement diversifié.
par Takeda Pharmaceutical; les établis- la frontière linguistique. Sur ce point, Selon les données de l'EFPIA, la sements Couvreur datant de 1912, éri- elles sont assez bien réparties entre les fédération patronale pharmaceutique, gés par Albert Couvreur, qui seront ra- régions, avec la majorité des activités la Belgique occuperait en 2010 31.536 chetés en 1977 par le groupe suisseAl- dans le Brabant wal on, la province personnes dans le secteur et l'Union con, lui-même filiale de Nestlé qui en d'Anvers et Bruxel es et ses environs. européenne 663.5035.Ainsi, le pays re- cédera les clés à Novartis en 2010.
Le tableau 1 reprend les ef ectifs présenterait 4,8% de l'emploi de l'in- Ce petit tour historique indique des principales sociétés du secteur dustrie européenne du médicament.
déjà une forte caractéristique du sec- pour 2011,sur la base des rapports an- Cela se rapproche de nos propres cal- teur belge: l'essentiel est dominé par nuels.
culs. Mais la composition de ces tra- des sociétés étrangères, de puissantes vail eurs dif ère largement entre ceux GlaxoSmithKline est clairement transnationales pour qui la Belgique est qui oeuvrent au siège social, à l'admi- le plus grand employeur du pays avec intéressante parce qu'el e dispose de nistration centrale pour l'Europe ou le un peu plus de 8.000 salariés, devant fortes unités de recherche en matière Benelux, ceux qui s'occupent de logis- Johnson & Johnson (en fait propriétaire biologique. Ce n'est pas pour rien que tique ou du centre de distribution pour de Janssen Pharmaceutica) et Pfizer. A la Région wallonne a choisi les sciences la région,ceux qui ont été engagés dans eux trois, ils représentent plus de la du vivant comme un des axes de sa po- un centre de recherches ou dans un la- moitié du personnel engagé par l'in- litique industriel e définie dans le plan boratoire particulier et, enfin, ceux qui dustrie. Si on reprend les dix-sept"ma- Marshall 2.vert3.Le but est d'associer le sont attachés à la production.Pour une jors"4, ils en assurent quelque 87%.Au- monde universitaire, celui des respon- grande entreprise, le total peut se Gresea Echos N°71
Home sweet home 27
compter assez rapidement en cen- spécifiquement dans ce domaine,à l'ex- ployés et 142 contrats temporaires taines d'emplois dans un pays comme la clusion donc d'autres salariés des non renouvelés.Et le siège bruxel ois se Belgique, sans que ce soit central pour firmes qui sont classés ailleurs, dans un débarrasse de 17 des 206 salariés9.
la firme. Il y a environ 200 entreprises autre secteur. Les statistiques qui vien- Début 2011,les annonces de ré- pharmaceutiques et biotechnologiques nent de l'industrie el e-même comme duction d'emplois se succèdent : dans le pays6, dont 31 ont un site de fa- cel es d'EFPIA ou de pharma.be com- d'abord Sanofi veut lâcher 87 des 250 brication7. En réalité, il y a seulement prennent le total de l'effectif des firmes personnes travail ant à Diegem10. Puis, huit grands centres de production: pharmaceutiques.On observe une aug- tour à tour,Pfizer lance une diminution - GSK Biologicals à Rixensart, qui mentation des ef ectifs jusqu'en 2008, de 133 postes, ensuite de 167 pour la emploie encore environ 3.200 per- puis une chute radicale en 2009 due à fin 2012.Univar en espère 37 etAstra- la crise économique généralisée.Même Zeneca 80.Les laboratoiresThissen,ap- chose en termes de part: une hausse - GSK Biologicals à Wavre, qui partenant au groupe britannique Next- compte maintenant quelque 3.500 Tableau 2. Importance du secteur pharmaceutique dans
Pharma et employant l'industrie belge et européenne 1995-2011
330 personnes, sont pla- - Janssen Pharmaceutica à Beerse cés sous procédure judi- (près de Turnhout), qui réunit la ma- ciaire des fail ites. Ils se- jorité des effectifs de Johnson & Nombre de salariés 14.545 17.409 19.890 23.414 18.614 ront repris en janvier Johnson dans le pays ; en % de l'industrie 2012 par la firme fran- - Baxter à Lessines (dans le Hai- manufacturière belge çaise Cenexi, qui redé- naut), accueillant 1.600 salariés ; marre avec quelque 150 en % de l'industrie phar- maceutique européenne à 180 travailleurs.La Bel- - UCB Pharma à Braine-l'Alleud, qui gique aurait-el e perdu y réunit 1.429 des 1.883 membres Source: Calculs à partir d'Eurostat, Statistiques annuelles détaillées sur l'in- sa fibre médicamen- du personnel belge du groupe ; Note: La comparaison n'est pas aisée, car les séries statistiques sont de - Pfizer à Puurs (dans la province multiples fois interrompues par des changements de définitions du secteur.
d'Anvers entre Boom et Wille- Néanmoins, pour l'industrie pharmaceutique, ces modifications sont relative- Notes
broek), où 1.300 personnes travail- ment mineures.
1. La famille Janssen est liée à celle des lent (à côté des 210 du centre de Solvay et des Boël, par mariage et autres. recherche de Louvain-la-Neuve, des jusqu'en 2008,puis la baisse l'année sui- 2. En 2004, UCB décide de se focaliser uniquement sur son sec- 285 du site de logistique de Zaven- vante. Malgré que la récession n'ait pas teurpharmaceutique.D'oùsonchangementdenomenUCB tem et des 500 du siège central à été aussi dure pour l'industrie du mé- Pharma. dicament ou pour la Belgique, les 3. Région wallonne, Viser l'excellence, plan Marshall 2.vert, - Alcon-Couvreur, filiale de Novartis grands groupes ont décidé de réduire 2009: depuis 2010, également à Puurs, qui le personnel dans la plupart de leurs fi- http://planmarshall2vert.wallonie.be/sites/default/files/inte- conserve encore 1.014 salariés dans liales belges. Depuis 2007, c'est une vé- ritable litanie. D'abord, cette année-là, 4. Abbott,Amgen,AstraZeneca,Baxter,BoehringerIngelheim, Bristol-Myers Squibb, Eli Lilly, GSK, Johnson & Johnson, Merck, - enfin, Schering-Plough Labo, nou- Eli Lilly supprime son centre de re- MerckKGaA,Novartis,Pfizer,Roche,Sanofi,TakedaetUCB velle filiale de Merck Sharp and cherche de Mont-Saint-Guibert,qui oc- Pharma. Dohme (MSD), à Heist-op-den-Berg cupait 330 personnes. En 2009, plu- 5. EFPIA,ThePharmaceuticalIndustryinfigures-Edition2012, (également dans la province d'An- sieurs faillites interviennent, dont celle p.12: vers, entre Lierre et Aarschot) et de Corden PharmaChem,établie à Lan- http://www.efpia.eu:8081/sites/www.efpia.eu/files/EFPIA_Fi- qui emploie 904 personnes.
den, qui entraîne la perte de 96 em- gures_2012_Final-20120622-003-EN-v1.pdf. 6. 140 sont regroupées dans la fédération pharma.be. Les autres sont beaucoup plus plois. Paral èlement, la direction de 7. Association des Ingénieurs industriels de l'Institut Meurice, petits,de l'ordre de quelques centaines Janssen Pharmaceutica annonce une di- «L'industrie(bio)pharmaceutiqueinnovante»,Cont@cts,Bulletin emplois. Le tableau 2 montre l'impor- minution des postes de travail à Beerse, trimestriel,avril-mai-juin2012,p.14:http://www.aiif- tance du secteur par rapport à l'indus- Geel et Olen pour les trois-quatre an- imc.be/sites/default/files/contact/Contacts%20Juin%202012.pd trie manufacturière belge et à la bran- nées à venir: 131 ouvriers, 267 em- f. che pharmaceutique européenne. Les ployés et 160 cadres, soit un total de 8. La Libre Belgique, 4 novembre2009. chif res venant d'Eurostat sont moins 558 personnes8. A peine reprise par 9. DeStandaard,12mars2010. élevés, car ils calculent ceux qui sont Merck (MSD), Schering-Plough dé- 10. DeFinancieelEkonomischeTijd,1erfévrier2011. graisse en 2010: 24 ouvriers, 65 em- Gresea Echos N°71
Quand la santé publique
faisait les affaires du privé
serait une manière de pérenniser les nationales autour de l'OMC2 (pour actionnaires, situa- profits et les dividendes versés aux ac- l'instant bloquées) est justifiée en pre-
tion prolongée de monopole,
tionnaires. C'est de ce paradoxe que mier lieu pour mettre en oeuvre cette collusion et connivence avec
démarrent la plupart des dérives mesure.
les responsables de l'appareil
constatées dans le secteur.
d'État…il est temps de s'inter-
Cette méthode de procéder à roger si tout cela doit conti-
travers des brevets al ouant l'exclusi- La dérive des incontinents
nuer ainsi. La santé est un
vité, en vigueur très tôt dans les pays Nous avons déjà souligné au bien public
anglo-saxons, ne s'est imposée qu'en 1. Est-ce bien rai-
dans le troisième article (La constitu- sonnable de la laisser sous
1977 en Suisse, qu'en 1978 en France tion d'un monopole) à quel point la re- l'emprise des transnationales
et en Italie, qu'en 1986 en Espagne.
cherche d'un brevet qui accorde un Dans ce pays, elle n'a été en fait appli- droit exclusif à une entreprise d'ex- quée réel ement qu'à partir de 19923.
Déjà, il y a contradiction dans ploiter une "découverte" était essen- Et l'Inde défend toujours,depuis lors,la les termes entre santé publique et in- tiel e dans la stratégie de ces transna- possibilité de développer des médica- dustrie du médicament privée. Et ce tionales. Cette situation donnait de fait ments sans licence4.
n'est pas que dans le langage que le une position de monopole à la firme En conséquence, les transnatio- conflit d'intérêts s'exprime. Il est, en qui pouvait imposer quasiment ses prix nales vont s'ingénier à développer des fait, permanent.
aux autorités et aux patients, les pou- voirs publics décidant si c'était la sécu- produits qui peuvent continuer le mo- Pour le citoyen, patient poten- rité sociale ou le malade qui devait en nopole obtenu par"la découverte",soit tiel, le but est d'être et de rester en payer la facture. C'est un déterminant en prolongeant les effets médicaux as- bonne santé.Pour les géants du secteur, essentiel des bénéfices record des sociés à la nouvel e molécule, soit en c'est l'inverse. Plus les gens sont ma- compagnies pharmaceutiques et de la créant une pilule "nouvel e", très lades, invalides,victimes d'épidémies ou rentabilité au-dessus de la norme du proche de l'ancienne5.Du point de vue d'autres fléaux, plus cela peut rappor- de la santé, cela n'a aucun sens, car l'in- ter. C'est un peu comme si nous avions vention n'a aucun apport réel et la pos- une police privée. El e af irmerait, le En outre, cela transformait ces sibilité de guérir davantage de malades cœur sur la main, qu'el e est là pour sociétés en Cerbère agressif à la fois du est assez faible. Mais, pour les entrepri- protéger les personnes honnêtes des principe de la propriété intel ectuel e ses, c'est essentiel,car cela reproduit le agressions ou autres délits. Mais, se fai- inviolable et de son application inté- schéma de monopole qui les arrange et sant rémunérer sur la base du nombre grale partout dans le monde. D'où un leur assure des bénéfices très élevés.
d'interventions, elle aurait tout intérêt lobbying intensif pour que cela de- En outre, les compagnies vont à ce que celui-ci augmente et que,donc, vienne partie intégrante du droit com- porter plainte systématiquement con- l'atmosphère d'insécurité soit la plus mercial international et qu'il y ait pos- tre les concurrents qui exploitent des élevée possible, pour que davantage de sibilité de rétorsion en cas de non-res- produits proches et surtout des géné- familles fassent appel à elle.
pect. Ce qu'of icialisent les nouvel es règles de l'OMC. Sous la pression des riques. C'est la tactique initiée dans un C'est la même chose pour le entreprises de la santé,les fédérations, autre domaine, celui des microproces- médicament. Il est censé soigner, assu- aussi bien de l'industrie qu'intersecto- seurs, par Intel, qui bénéficie d'un mo- rer une remise sur pied des individus, riel es, af irment et répètent qu'il est nopole relatif en la matière.Le but n'est un bien-être plus important. En réalité, nécessaire que les licences soient de pas de gagner, mais de faire peur:"Le pour l'industrie pharmaceutique, il fau- mise partout et qu'el es soient inté- département judiciaire d'Intel a dé- drait que les patients en utilisent le plus grées dans les dispositions législatives pensé des centaines de millions de dol- possible et donc se considèrent dans de tout pays, avec contrôle internatio- lars et,au conseil général de la firme,il Gresea Echos N°71
santé malade 29
a été souligné qu'un des objectifs pour Ensuite, les firmes pharmaceu- une amende de 70 millions pour avoir juger des performances était un nom- tiques se muent progressivement en convaincu des médecins étrangers de bre déterminé de nouvelles poursuites sociétés du cosmétique. Au lieu de prescrire ses médicaments9.
entamées chaque trimestre. La straté- continuer à développer la recherche, Dans ces conditions, le carac- gie d'attaquer tout le monde ne vise elles se créent une image de bien-être tère scientifique et "neutre" des arti- pas à gagner des amis et Intel a sans autour d'un médicament porteur, qui cles vantant ou détruisant un médica- doute perdu davantage d'af aires qu'el e plairait particulièrement aux patients. ment ou un vaccin est manifestement en a gagnées. Mais cette politique de De ce fait, el es tentent de fidéliser mis en question. Ont-ils été écrits par montrer son poing d'abord et d'exiger leurs"clients",de la même manière que des professeurs financés par la transna- des réponses ensuite a aidé Intel à le font LVMH ou L'Oréal: autour de tionale qui le promeut ou par des maintenir ses profits monopolistes marques (Garnier, Dior, Gucci…). L'en- firmes qui veulent prendre le marché à pour très longtemps".6 Selon la Com- treprise se transforme ainsi en "fabri- la première? Où est le bien-être,l'amé- mission européenne, le coût de ces li- cant de bien-être". Donc l'utilisation lioration de la santé dans ces cas de fi- tiges s'élève à 420 millions pour la pé- d'un produit serait l'incitation d'ache- gure? riode entre 2000 et 20077. Est-ce fran- ter un autre du même logo ou de la même compagnie.
L'af aire est suf isamment épi- neuse qu'on doit citer les études an- Cette défense acharnée du bre- Ainsi, on voit Bayer expliquer nuel es de Multinational Monitor, un vet entraîne deux autres effets pervers. que l'aspirine a d'autres apports béné- périodique américain créé en 1978 par D'abord, les transnationales sont ame- fiques que de soulager les migraines.En Ralph Nader, qui établit chaque année, nées à développer et à défendre un mé- consommer tous les jours permettrait depuis 1988, le classement des dix dicament envers et contre tout. El es d'alléger le stress quotidien et amène- firmes les plus épouvantables sur le vont lui faire une publicité d'enfer, que rait un mieux-être,surtout très lucratif plan social,éthique et civique souvent à ce soit auprès des médecins en cas de pour la transnationale. Evidemment, on partir des procédures judiciaires me- produit prescrit ou des patients dans le ne connaît pas les effets secondaires nées contre el es aux Etats-Unis (par- cas contraire. En général maîtresses d'une telle utilisation intensive du mé- fois à l'étranger).Ils ont arrêté leur éva- des recherches et des tests, elles vont dicament (vendu librement un peu par- luation en 2008.
négliger ou minimiser les effets secon- tout). Mais les professionnels s'inquiè- daires de la pilule ou du vaccin.C'est en tent à juste titre:n'y a-t-il pas un risque Sur une vingtaine d'années, la général à ce niveau que les dangers d'accoutumance au produit ? Et, en cas palme appartient à Philip Morris, le peuvent survenir.Elles vont donc finan- de migraine,ne faudrait-il pas employer géant du tabac qui a racheté Kraft et cer des études dans le seul but de des doses beaucoup plus élevées et contrôlait de ce fait les Chocolats Côte prouver "scientifiquement" que les ris- donc dangereuses? d'Or.Celui-ci a été cité six fois au total, ques sont minimes, voire exception- une fois tous les trois ans.Mais derrière Pour défendre le brevet et la lui, on trouve Roche, cité cinq fois.Ab- position monopolistique des firmes bott Laboratories est accusé quatre an- Les conséquences peuvent être pharmaceutiques, ces dernières n'hési- nées durant,Wellcome,puis GSK,trois dramatiques, comme dans le cas du tent pas à attirer dans leurs mailles les fois, Wyeth (anciennement American Mediator en France, développé par le responsables étatiques et les profes- Home Products et aujourd'hui racheté plus gros laboratoire indépendant du sionnels pour qu'ils vantent leurs "in- par Pfizer) deux ans,tout comme Pfizer pays, les Établissements Servier, et novations", voire qu'ils soutiennent ou et Warner-Lambert (aujourd'hui inté- censé améliorer la situation des diabé- leur accordent l'exclusivité du marché. gré dans Pfizer). Merck, Schering- tiques. Cette molécule a été commer- Une tel e démarche va jusqu'à la cor- Plough, Upjohn (avant sa fusion avec cialisée entre 1976 et 2009,sans voir la ruption, comme le montre le cas ré- Pharmacia et son incorporation ulté- toxicité associée. El e aurait provoqué cent de Pfizer. Celui-ci a dû, en effet, rieure dans Pfizer) ont chacun été épin- la mort d'au moins 500 personnes, se- verser 60 millions de dollars aux auto- glés une fois.10 lon l'Agence nationale de sécurité du rités américaines qui l'accusaient médicament et des produits de santé d'avoir payé des pots-de-vin en Bulga- La découverte d'une"giga"-
(ANSM). Mais d'autres analyses chif- rie, Croatie,Kazakhstan et Russie,pour molécule: le profit de monopole
frent le nombre de décès entre mille et obtenir leurs bonnes grâces en matière d'homologation de ses produits8. En Tous ces éléments ne sont ni à 2011,Johnson & Johnson avait dû payer l'avantage ou à l'honneur des transna- Gresea Echos N°71
tionales pharmaceutiques. Mais cel es- vettent autant sans doute qu'à cette peut se déployer, sans les limites bud- ci justifient le maintien de leur situation époque, sinon davantage. Mais l'essen- gétaires qui sont cel es du public, se par deux arguments centraux: la re- tiel concerne des produits qui n'appor- trompent lourdement: le temps où les cherche et la concurrence du marché. tent qu'un progrès mineur pour la chercheurs pouvaient mener, dans leur Ce serait la combinaison d'une innova- science avec un faible nombre de ma- laboratoire, des recherches hors pro- tion perpétuelle due à l'initiative privée lades guéris en plus.Ainsi, l'institut na- gramme, et où ce type de travail était et de la mise en compétition des en- tional de la gestion des soins de santé non seulement autorisé, mais même treprises qui engendreraient les avan- aux Etats-Unis a relevé que, durant la parfois encouragé, est bien terminé.
cées majeures dans le domaine médi- période entre 1989 et 2000, 54% des Cette situation explique que les cher- médicaments approuvés par la FDA cheurs les plus brillants tentent depuis Pourtant, la plupart des spécia- (Food and Drug Administration), c'est- le milieu des années 80 de faire carrière listes s'accordent à dire que l'ère des à-dire l'autorité qui accorde les brevets, hors des grands groupes pharmaceu- grandes percées médicales est actuel e- contenaient des ingrédients qui exis- tiques, en particulier dans les petites ment terminée.Ainsi, Philippe Pignarre taient déjà sur le marché. En réalité, sociétés de biotechnologie."12.
a établi un tableau avec les inventions seuls 238 des 1.035 produits reconnus Mais il ne croit pas trop à ce par la FDA apportaient une nouvel avatar de l'industrie de la santé.
Tableau 1. Découverte des principaux médicaments
réelle nouveauté avec une amé- nouveaux depuis 1930 avec leur utilisation majeure
Dès qu'une compagnie plus "créative" lioration sensible des soins."En prend de l‘ampleur, el e est rachetée d'autres termes, environ 77% par un des géants du secteur. Ainsi en de ce que la FDA avalise est re- agent antimicrobien contre la est-il de Genentech, repris par Roche, dondant d'un point de vue stric- de Transgene ou de Genzyme acquis maladies microbiennes et in- par Sanofi,de Genset dans les mains de fections comme la tubercu- Même constat chez Phi- Serono, lui-même contrôlé par la firme lose et la syphilis lippe Pignarre, qui a travail é allemande Merck KGaA.
arrêt du développement ou pendant dix-sept ans dans les suppression de bactéries grands laboratoires. Pour lui, la Le grand mythe du marché
priorité donnée aux études cli- innovant
les anxiolytiques et neuro- niques et la concentration du Le second argument des entre- secteur autour de quelques poliomyélite ou paralysie prises est celui du marché concurren- spinale infantile transnationales surpuissantes tiel, qui aurait des vertus bénéfiques (les deux phénomènes étant sur le progrès technique,la créativité et pilule contraceptive liés) enraient la progression de les avancées médicales.En fait,c'est une grandes découvertes au profit hypertension artérielle affirmation que l'on retrouve pour ex- de médicaments" successeurs", pliquer le dynamisme dans d'autres peu dif érenciés par rapport virus de l'immunodéficience aux originaux. Les firmes privi- humaine (sida), hépatite C légient les essais par tâtonne- Mais il y a méprise, autant dans Source: Philippe Pignarre, Le grand secret de l'industrie pharma- ments pour trouver des molé- l'industrie pharmaceutique que dans les ceutique, éditions La Découverte, Paris, 2004, p.45.
cules aux ef ets guérisseurs sans autres domaines.Le marché ne dispose les plus importantes, que nous repro- nécessairement comprendre la raison pas d'un tel pouvoir et n'est doté d'au- duisons ici (tableau 1).
pour laquelle elles ont cette propriété. cune capacité de favoriser les inven- teurs sur les autres.Il fonctionne sur un Il y a évidemment un choix quel- Cette méthode montre ses limites. principe élémentaire, proprement dar- que peu arbitraire dans cet état des Pour avancer,il faudrait en revenir à des winien: l'élimination des plus faibles.
lieux.Ce qu'il révèle surtout est que ce percées majeures en biologie, qui ne C'est un processus de "sélection natu- sont les années d'après-guerre qui sont peuvent venir que de la recherche fon- relle".
les plus riches en innovations.Ensuite,il damentale. C'est plutôt un domaine de y a un net ralentissement dans les dé- la compétence des universités.
Comment en pourrait-il être couvertes qui transforme profondé- Il en conclut:"Ceux qui croient autrement? La compétition entre com- ment le monde de la médecine.
que l'industrie pharmaceutique est un pagnies est incontestablement une lutte acharnée. Mais, contrairement à Aujourd'hui,les entreprises bre- lieu où l'imagination des chercheurs Gresea Echos N°71
ce qui se passe dans le sport, el e ne lance commerciale souvent excéden- cessions conjoncturelles. Mais, à partir s'arrête jamais,ou que par l'épuisement taire, une activité industrielle aux effets de 2002, il atteint un palier qu'il ne dé- des rivaux ou leur disparition. Ce n'est dérivés sur d'autres secteurs et la créa- passera plus par la suite. Ensuite, c'est pas une lutte entre adversaires qui par- tion de nombreux emplois. Ce dernier la crise et un lent déclin. Il n'est pas sûr tent normalement au même niveau et argument peut d'ail eurs emporter qu'il y ait un rattrapage. L'évolution eu- qui disposent des mêmes moyens. l'adhésion des pouvoirs politiques ou ropéenne semble suivre un chemin as- C'est un combat où tous les coups sont de certains syndicats.
sez paral èle,avec une baisse des postes permis,même ceux qui sont illégaux - il Seulement ce qui était vrai sur à partir de 200813.
suf it juste de ne pas se faire prendre ce plan il y a encore quelques années Plus symptomatique est de sui- ou alors de payer l'amende pour éviter est en train de se retourner.Ainsi, aux vre le nombre du personnel engagé par des poursuites bien plus longues et Etats-Unis,comme en témoigne le gra- les grandes transnationales du secteur, c'est-à-dire les douze qui Le marché établit le critère par Graphique 9. Evolution de l'emploi dans l'industrie pharma- s'y imposent et les princi-
lequel les entreprises seront normale- ceutique aux Etats-Unis 1990-2011 (en milliers d'emplois)
pales compagnies qu'el es ment jugées: celle qui réalise des béné- ont rachetées ces der- fices, accroît son capital et ses investis- nières années. Cela nous sements, qui survit, résiste est celle qui donne le graphique 10.
gagne; celle qui ne parvient pas à un tel résultat est éliminée,soit rachetée,soit breux soubresauts, une fail ie.Mais,contrairement à ce que pré- très nette tendance à la tendent les chantres de ce système, baisse se dessine à partir ceci n'est pas lié nécessairement aux de 1993. Grosso modo, de- capacités créatrices des sociétés.
puis ce pic, ces géants ont On l'a vu dans l'exemple phar- détruit 140.000 emplois.
maceutique, ce qui a été déterminant Source:CalculssurbasedeBureauofLaborStatistics,Employment, Et ce n'est pas près dans l'histoire du secteur a été la Pharmaceuticals and medicines,All Employees in thousands: de se terminer avec des concentration des capitaux pour réali- http://data.bls.gov/PDQ/servlet/SurveyOutputServlet plans de réduction pour ser les tests cliniques et acquérir une plusieurs d'entre eux. Le dernier en position monopoliste. Les firmes qui phique 9, le nombre de postes est ma- date est celui de Sanofi. Le tout nou- sont parvenues à ce stade sont au- nifestement en train de se réduire.
veau ministre du Redressement pro- jourd'hui cel es qui dominent l'indus- L'emploi progresse durant toute ductif, Arnaud Montebourg, a expliqué trie. En quoi cela correspond-il à une la décennie précédant le nouveau mil- au Sénat comment la direction du preuve de leur "créativité"? Pfizer, qui lénaire, avec un tassement lors des ré- groupe s'y est prise pour annoncer la tient la tête du classement sectoriel ac- nouvel e: "Sanofi vient de débar- tuel ement, est-el e la plus innovante, Graphique 10. Evolution de l'emploi dans les géants quer à Bercy pour nous dire:'Nous
ou plutôt celle qui a accumulé suffisam- de l'industrie pharmaceutique mondiale
envisageons plusieurs mil iers de ment de capitaux pour racheter les au- 1980-2011 (en milliers)
suppressions d'emplois' "14. Ce qui tres? N'en est-il pas de même pour Sa- est paradoxal, puisque l'entreprise nofi, qui propriété commune de Total est en passe de prendre la tête in- et de L'Oréal, deux géants dans leur ternationale du secteur et qu'el e domaine respectif, est en passe de dé- vient de déclarer le plus grand bé- passer le leader grâce à ses nom- néfice de son histoire: 5,7 milliards breuses acquisitions? d'euros ou près de 8 mil iards de Le dernier recours pour justi- Les syndicats craignent des fier la situation présente est de défen- coupes claires dans la recherche: Source: Calculs sur base de Compagnies pharmaceutiques, dre les apports positifs que les transna- rapports annuels, différentes années.
les 647 employés àToulouse et les tionales ajoutent aux économies dans quelque 200 à Montpel ier pour- Note: Pour établir ce tableau, nous avons repris les mêmes lesquel es el es interviennent: une ba- raient perdre leur emploi15. Et on firmes que celles du graphique 1, avec la même méthodologie.
Gresea Echos N°71
en revient à la discussion sur le carac- toire, combien de défaites? Combien plus élevés des médicaments que ce qui tère novateur des firmes pharmaceu- d'hommes et de femmes n'ont pas pu serait nécessaire; utilisation incorrecte tiques. Comment peut-on prétendre recevoir les soins adéquats, soit parce et inef icace des médicaments; emploi être une compagnie innovante et créa- qu'ils ne pouvaient pas se les payer,soit excessif ou fourniture de matériel, en- trice, quand on a l'intention de suppri- parce que l'infrastructure de la région quêtes et procédures dans les produits mer autant de postes de chercheurs, où ils habitent est déficiente et donc ne et services de santé; gaspillage, corrup- c'est-à-dire des gens qui sont normale- peut pas accueil ir et traiter ce genre tion et fraude dans le système.19 ment hautement qualifiés et qui contri- de patients? La question qui se pose alors est buent au développement des qualifica- Les rapports de l'Organisation de savoir si on peut laisser la santé et tions en France et en Europe? mondiale de la santé (OMS) sont rem- ce qui la détermine, à savoir les médi- plis de ce genre de constats. Dans celui caments (mais aussi les hôpitaux,les cli- Conclusions: La santé en
de 2008,l'indécence dans l'inégalité des niques, etc.), dans les mains du privé? soins est relevée avec force: "Ceux qui Ne serait-il pas souhaitable de rendre Le secteur de la santé est ma- ont le plus de moyens – dont les be- ce secteur directement aux pouvoirs lade. Il est atteint par un virus identifia- soins en soins de santé sont souvent in- publics? Il est clair que la mission de ble qui s'appel e la concentration mo- férieurs – consomment le plus de soins, contrôle est insuf isante. Les transna- nopoliste privée et dont les effets prin- alors que ceux qui ont le moins de tionales la contournent assez aisément, cipaux se manifestent dans la re- moyens et les plus grands problèmes ou même la rendent totalement déri- cherche du bénéfice avant tout. Les ac- de santé en consomment le moins. Les soire ou inopérante dans certains cas.
tionnaires et dirigeants s'en lèchent dépenses publiques consacrées aux probablement les babines,mais c'est au Dans les conditions actuelles,ce services de santé profitent davantage détriment de centaines de mil ions de sont pourtant el es qui bénéficient le aux riches qu'aux pauvres, que ce soit patients qui ne sont pas soignés conve- plus du système. Il nous semble que dans les pays à revenu élevé ou dans c'est tout à fait contraire à l'intérêt des ceux dont le revenu est faible.(…) Plus populations. Donc, reprenons la ges- Le système actuel provoque des de 100 millions de personnes tombent tion de la production des pilules, vac- conséquences désastreuses, comme la chaque année dans la pauvreté parce cins et autres, de la recherche, qui doit médication excessive. En France, selon qu'el es doivent payer leurs soins de servir la santé et non les profits privés.
le réseau des centres régionaux de santé. (…) L'al ocation des ressources La santé doit être un domaine complè- pharmacovigilance,il y aurait 1,3 mil ion va essentiel ement, à grands frais, aux tement soumis à l'Etat.
de personnes hospitalisées à cause services curatifs, négligeant la préven- d'effets secondaires dans la prise de tion primaire et la promotion de la Et si des craintes surgissent à médicaments et 33% d'entre eux se- santé, pourtant susceptibles de per- propos du caractère " bureaucratique " raient dans un état grave.La population mettre une réduction pouvant attein- de l'appareil étatique, il serait bon d'y totale de l'hexagone se monte à 65 mil- dre 70 % de la charge de morbidité.".17 ajouter un contrôle syndical et citoyen lions. Mais ce n'est pas tout:chaque an- sur la manière dont le domaine est ad- Avec une conclusion encore née, 18.000 patients meurent de cette ministré. Pour l'instant, le patient, l'in- plus af reuse:"En l'absence de tel es dis- situation, soit deux fois plus que les ac- dividu, le salarié sont les grands absents positions, les coûts de la santé sont cidents de la route16.
des négociations du secteur. Tout se énormes: près de 30.000 enfants meu- passe sans eux.C'est l'occasion de re- Autre impact indésirable: les rent chaque année de maladies qui au- médier à ce déni de démocratie éco- conditions déplorables de la santé dans raient pu être facilement traitées s'ils nomique. La santé n'est-el e pas l'af aire le Tiers-monde, où les transnationales avaient eu accès à des médicaments es- de tous? pharmaceutiques font la chasse impi- sentiels".18 toyable aux producteurs de génériques Dans le rapport 2010, l'OMS Notes
et prélèvent des royalties élevées de dresse un tableau des inef iciences du 1.Enéconomie,onappelleunbienpublicunbienouunservice leurs nombreuses licences exclusives. système de santé. Il en épingle quatre dontl'utilisationestnonrivaleetnonexclusive.Asavoir,nonri- Le cas sud-africain a été fortement mé- qui sont directement en connexion valesignifiequelaquantitéemployéeparl'unn'apasd'effetsur diatisé et donc les groupes occidentaux celle utilisée par un autre. Non exclusive veut dire que tout le avec l'industrie pharmaceutique, même mondepeutprofiterdubienproduit. ont dû, sous le pression de l'opinion si el e n'est pas accusée nommément: 2.Cequis'intituleleprocessusdeDoha(parcequecelaaétéde- publique,reculer.Mais,à côté d'une vic- sous-utilisation de génériques et prix mandélorsdusommetdenovembre2001danslacapitaleqatari. Gresea Echos N°71
Démocratie économique? 33
3. Michele Boldrin & David Levine, Against Intellectual Monopoly, « Chapter 9 ; The Pharmaceutical Industry », Cambridge Univer- sity Press, 2008, pp.1-2 : l'introduction de cette réglementation va entraîner une concentra- tion rapide du secteur, alors qu'auparavant celui-ci était caracté- risé par l‘existence d'une multitude de petits laboratoires. 4. Michele Boldrin & David Levine, Against Intellectual Monopoly, « Chapter 9 ; The Pharmaceutical Industry », Cambridge Univer- sity Press, 2008, p.9 : 5. Ce qu'on appelle les médicaments « me too ». 6. Tim Jackson, Inside Intel. How Andy Grove built the world' most successful chip company, HarperCollins Publishers, Londres, 1997, pp.XIV et XV. 7. Commission européenne, « Enquête Sectorielle dans le domaine pharmaceutique », Rapport préliminaire, 28 novembre 2008, p.14 8. Le Monde, 7 août 2012. 9. The Economist, 20 avril 2011. 10. Multinational Monitor : http://multinationalmonitor.org/. 11. Michele Boldrin & David Levine, Against Intellectual Mono- poly, « Chapter 9 ; The Pharmaceutical Industry », Cambridge Uni- versity Press, 2008, pp.9-10 : 12. Philippe Pignarre, Le grand secret de l'industrie pharmaceu- tique, éditions La Découverte, Paris, 2004, p.72. 13. Nous ne disposons pas de chiffres complets. Les statistiques d'Eurostat sont particulièrement lacunaires en ce domaine. 14. Le Monde, 12 juillet 2012. Bercy est le lieu du ministère de l'Economie et des Finances. 15. L'Usine nouvelle, 5 juillet 2012. 16. Philippe Pignarre, op. cit., p.153. 17. OMS, Rapport annuel 2008, p.XIV : 18. OMS, op. cit., p.70. 19. OMS, Rapport annuel 2010, p.69 : Gresea Echos N°71
"Écrire le travail aujourd'hui", Cahiers
Isabelle Jonveaux, Le monastère au tra-
Alain Bihr, Les rapports sociaux de
marxistes, n°242, mai-juin 2012, 135
vail, éd. Bayard, 614 p., 21 euros.
classe, Editions Page deux, 2012, 140
pages, 8 €.
pages, 9,5 euros.
L'ouvrage de cette jeune sociologue est de Comment revenir aujourd'hui sur la "litté- ceux qu'il faut lire entre les lignes, voire à Ce qu'Alain Bihr remet ici sur la table de rature prolétarienne"? Tâche malaisée s'il rebours d'elles, tant ces pages laborieuses dissection tient de l'Ovni, une soucoupe en est tant la disparition de la classe ou- manquent de sérieux scientifique et pê- volante depuis longtemps disparue des vrière fait aujourd'hui consensus facile: chent par empilement d'ouï-dire acadé- radars de la conscience collective: les démodé, ringard. Les auteurs réunis ici en miques (Weber est à toutes les pages classes sociales, les rapports sociaux de association momentanée – Paul Aron, comme argument d'autorité) et de clichés production et, l'angle d'attaque est Pierre Gauyat, Fabrice Preyat, Laurence et insignifiants (tel la "modernité" auquel ne marxiste, la lutte des classes, un concept Jean-Maurice Rosier – ont choisi, pour manque que la majuscule religieuse). Mais dont Bihr souligne fort à propos qu'il est faire contre-jour, d'attaquer par la bande.
le sujet, pour qui s'intéresse à la possibilité "un instrument d'intelligibilité de la réalité Donc, en s'attachant moins à la figure du d'une "autre économie", mérite plus que le sociale". On a été habitué (par qui? tous les sujet "prolétarien" (l'écrivain ouvrier) qu'à détour. Si le rôle économique passé des appareils idéologiques d'État, dirait Al- son objet: les heurs et malheurs du monde monastères en Occident, en tant que cen- thusser) à penser la société comme un as- ouvrier – du travail – dans la production tres agricoles et de savoirs lettrés, figure semblage d'individualités que rien n'op- romanesque. Le bilan est contrasté – et, si- sans doute à l'horizon mental de la plu- pose ni ne distingue, ce que résume bien gnificativement peut-être, accorde une part, ce qui fait ici système, encore au- l'idéologie de l'inclusion sociale: l'exclu- large place à la tradition imagée (roman jourd'hui, est riche en leçons. C'est que le sion serait un défaut plutôt qu'une graphique et BD) qui va de Masereel à moine, comme indique bien la préface de marque de fabrique du système. Bihr Tardi: parce que l'aliénation trouve désor- Danièle Hervieu-Léger, oeuvre à une éco- prend le contre-pied. Il y a, d'un côté, des mais surtout à s'exprimer dans l'impuis- nomie utopique, sans profit ni proprié- salariés, voués à la servitude et à l'obéis- sance des traits muets et d'une noirceur taire, dont un des traits remarquables qui sance. Il y a, d'un autre côté, les élites do- zébrée d'éclairs plus gris que blancs? Le vaut d'être médité est de bâtir sur une "ra- minantes (classe des propriétaires) dont problème est sans doute que si le monde dicalité de l'expérience chrétienne deve- dépendent les premiers pour leur survie. Il ouvrier (salarisé) est devenu l'horizon in- nue culturellement illisible au plus grand y a encore l'État qui maquille cet état de dépassable de l'humanité, le "héros nombre". Il faut relire cela en prenant tout fait en intérêt général. Bref, il y a des rouge", lui, a bel et bien disparu. Il y a là son temps car tout ce qui devenu "illisible" classes que tout distingue et oppose. Bihr matière à interrogation. Celle-ci est, de à nos yeux est, d'évidence, le fruit d'une analyse cela avec méthode en élaborant même que là-dessus les esquisses dues à propagande dont cette illisibilité même pour chaque notion son explication, son Brecht, Lukacs, Benjamin ou Rancière donne l'exacte mesure, elle est totale.
rôle dans l'architecture sociale. On regret- (connaissant aujourd'hui un remarquable L'économie moniale condamne le profit et tera juste que la notion de "société civile" regain d'intérêt ), assez absente du pano- prône le partage entre "producteurs asso- ne soit pas explicitée et que (effet de ramique présenté ici, qu'on lira cependant ciés": plus à la portée de nos cadres mode?) il ait éprouvé le besoin d'intégrer avec fruit en lui espérant des prolonge- conceptuels, plus apte à nous plaire, elle les "rapports de sexe et de génération" ments: si le héros rouge n'est plus, ni son n'a que mépris pour l'efficacité, maître- dans son schéma analytique. Mais la clarté œuvre littéraire d'éducation, le roman (ou mot de nos sociétés marchandes où tout de l'exposition est irréprochable et, sans le film: Ken Loach!) qui dénude la trame se mesure à un "combien?". Difficile d'ima- en partager toutes les leçons, on lira avec réelle des rapports de production sociaux giner, certes, que l'humanité se transforme délectation. (E.R.) reste plus que jamais nécessaire. (E.R.) demain en un monastère. Comme les coo-pératives, ils sont avant tout la preuve, iciet maintenant, que l'économie pourraitfonctionner autrement. C'est déjà énorme.
(E.R.) Gresea Echos N°71
menaces au Sud!
Marc François, documentaliste Gresea Les génériques menacés? Tout A noter,les nombreuses protes- cès aux médicaments aura un impact un programme ou plutôt un dossier tations de la part de militants de la so- sur des millions de personnes en Inde "Generics under threat: access to ciété civile (‘Protect our medicines, et dans le Tiers-monde … (The EU-
affordable medecines in jeopardy" our health, our lives' By Ranja Sen- India free trade agreement and
que développe la revue Third World gupta) à l'encontre du futur Accord access to medicines By Kajal Bhard-
Resurgence dans son numéro 259 de commercial anti-contrefaçon (ACTA – waj) mars 2012. En voici le résumé, contri- aux Etats-Unis une législation sembla- Placée au centre des projec- bution par contribution.
ble, SOPA/PIPA, a été condamnée). En teurs, pour terminer la décision prise Si tel est le cas ce seront des dépit de ces vives protestations,cet ac- par l'Office indien des brevets d'accor- millions de pauvres et de malades dans cord a déjà été signé par plusieurs pays der à une société locale une licence le monde qui ne pourront accéder à membres de l'UE. Il brouille la distinc- obligatoire pour produire une version des médicaments à un prix bon marché. tion entre la contrefaçon de médica- générique d'un médicament anti-cancé- L'industrie pharmaceutique indienne ments génériques et oblige les fonc- reux breveté par Bayer au motif qu'il produit des médicaments génériques tionnaires des douanes à traiter les n'était pas disponible à un "prix raison- calqués sur des médicaments brevetés médicaments génériques comme s'ils nablement abordable" est une étape et onéreux et ce à prix bas pour le étaient des marchandises de contrefa- importante pour assurer au plus grand consommateur. Mais de nouveaux dé- çon et ainsi de les saisir. (ACTA: un- nombre un accès aux médicaments.
veloppements risquent de mettre en democratic,
and (The compulsory licence on sora-
péril son rôle de pharmacie du Tiers- wrong By Charlie Harvey)
fenib: A right step to ensure ac-
monde … Ces nouveaux développe- Dans ce dossier, on trouve éga- cess to medicines By KM Gopaku-
ments sont en liens avec les accords lement une analyse de l'industrie phar- sur la propriété intellectuelle dévelop- maceutique indienne, qui examine les pés par l'OMC,ils permettent aux pays défis auxquels elle doit faire face et les de déterminer les critères d'octroi de options politiques qui s'offrent au gou- licences (brevets) sur toute invention. vernement indien pour éviter une crise L'Inde dispose de la meil eure législa- imminente dans sa capacité à poursui- tion dans le monde sur le brevetage vre la production de médicaments gé- mais elle entre en conflit avec la poli- nériques bon marché. (An unhealthy
tique des transnationales. (Generics future for the Indian pharmaceu-
under threat By Martin Khor)
tical industry? By KM Gopakumar
Il est important aussi de savoir and MR Santhosh) ce que sont les génériques et de faire fi On découvre également une des mythes et autres fausses idées telle analyse de l'accord de libre-échange que cel e qui prétend que les géné- entre l'Inde et l'Union européenne.Cet riques sont des médicaments contre- accord menace de larguer quelques- faits… Il existe de nombreux dispositifs unes des garanties sanitaires dans la lé- (par exemple, la mise en place d'ins- gislation indienne sur les brevets qui tances de bonnes pratiques de fabrica- rendent possible la production de mé- tion - GMP) qui empêchent justement dicaments génériques bon marché. Un la contrefaçon pouvant mettre en dan- changement dans les lois sur les bre- ger la santé des patients (Why gene- vets de l'Inde qui privilégie les intérêts
rics? By Jayabalan Thambyappa and de l'industrie pharmaceutique multina-
Mohamed Azmi Ahmad Hassali) tionale sur le droit à la santé et à l'ac- Gresea Echos N°71
Colloque - Vendredi 5 octobre 2012
Bruxelles, ULB – Salle Dupréel
(Bâtiment S - 1er étage.44, avenue Jeanne. 1050 Bruxelles) La distribution des richesses: Quelle part au salaire?
8H30-9H00:Accueil9H-10H30: "Part salariale, indexation et compétitivité: les particularités du cas belge" par Reginald Savage (Fopes-UCL)"La part salariale, un indicateur de justice sociale? Part salariale, répartition des revenus et sécurité sociale" par KarelVan den Bosch (Université d'Anvers)10h30-11h: Pause-café11H-12H30:"La flexibilité des salaires et la diminution de la part salariale: Le prix pour sauver la monnaie unique?" Ronald Janssen (Confédération Européenne des Syndicats)"A la source de la crise: la baisse de la part salariale" Michel Husson (Institut de Recherches Economiques et Sociales – Ires)12h30-13h30: Pause déjeuner13H45-14H15: intervention de Claude Rolin (secrétaire général de la CSC) et PhilippeVan Muylder (secrétaire général de la FGTB de Bruxelles)14h15-14h30: Pause-café14H30-16H00: Débat politique Entrée libre mais inscription souhaitée par mail:
[email protected] ou par tél. 0032(0)474 Une traduction simultanée français-néerlandais
sera assurée durant l'ensemble des débats.
Le Big Business en 25 fiches
Petit manuel de l'entreprisetransnationale
Sauvetage bancaire, restructuration dans la sidérurgie euro-
péenne, hausse des prix des matières premières, la crise ac- tuelle est aussi celle de la grande entreprise capitaliste. Préda- trice pour certains, vecteur de développement économique pour d'autres, cet agent majeur de la scène internationale se dérobe très souvent au regard des citoyens et reste le grand absent du débat politique.
Dans le contexte actuel, il devient néanmoins urgent de com- prendre l'entreprise transnationale: pourquoi et comment opère-t-elle; sa structure juridique et décisionnelle; son auto- nomie par rapport aux législations nationales. En d'autres mots, la place qu'elle occupe dans nos sociétés, devant ou aux côtés d'autres acteurs: pouvoirs publics, organisations syndi- cales ou citoyennes. Cet ouvrage vise à répondre à ces ques- tions tout au long des 25 fiches qui le composent.
Bruno Bauraind (Dir.), Le Big Business en 25 fiches. Pe-
tit manuel de l'entreprise transnationale, Bruxelles, éd.
Couleur livres et Gresea, Coll. L'autre économie, 2012,
148 pages (16 euros).
Commande: Gresea, 11 rue Royale, 1000 Bruxelles,

Gresea Echos N°71

Source: http://www.gresea.be/IMG/pdf/GE_71.pdf

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